Tolerance.ca
Directeur / Éditeur: Victor Teboul, Ph.D.
Regard sur nous et ouverture sur le monde
Indépendant et neutre par rapport à toute orientation politique ou religieuse, Tolerance.ca® vise à promouvoir les grands principes démocratiques sur lesquels repose la tolérance.

Lucille Teasdale, la médecine du coeur

Fondation Piero et Lucille Corti Onlus.

Prière de noter que toute reproduction de ce site est interdite. Tous les textes de ce site sont protégés par la Loi du droit d'auteur. Pour plus d'informations sur les articles de cette rubrique et sur le site Tolerance.ca, veuillez contacter le directeur de Tolerance.ca, Victor Teboul : victorteboul@tolerance.ca

Dans le cadre de la série d'articles sur les grandes personnalités qui ont fait avancer la cause de la tolérance au Canada, Tolerance.ca® présente Lucille Teasdale, cofondatrice, avec son mari Piero Corti, d'un hôpital et d'une école d'infirmières en Ouganda. Portrait d'une femme entière, totalement engagée à soigner les démunis de la terre.Le 1er août 1996, Lucille Teasdale rendait l'âme dans la petite ville de Besana, près de Milan, en Italie, aux côtés de son amoureux et compagnon de lutte de toujours, Piero Corti. Décédée à l'âge de 67 ans des suites du virus du sida qu'elle avait contracté alors qu'elle opérait un blessé, vraisemblablement en 1979, la chirurgienne humaniste aura consacré sa vie et son art à procurer secours et soins médicaux à des gens pauvres, isolés et le plus souvent ignorés du reste du monde. Mais son dévouement n'aura pas été vain. Elle demeure aujourd'hui un exemple retentissant du sens éthique et moral qui devrait guider chaque disciple d'Hippocrate.

Car sa vie durant, Teasdale a exercé sa profession dans des conditions extrêmement difficiles, sur un continent mal-aimé, l'Afrique, et dans un pays déchiré par les guerres et les luttes de pouvoir, l'Ouganda. Tournant le dos à la fois à son pays et sa culture, à l'appât du gain financier et au prestige lié à sa profession, elle fit le pari d'une médecine de l'urgence, s'exerçant avec les moyens du bord, là où les besoins humains sont les plus criants. Une médecine dans le sens le plus noble du terme.

Peu avant sa mort, l'Université de Montréal avait pris l'initiative de lui décerner un doctorat honorifique faisant foi de son engagement. Trop faible pour faire le voyage à Montréal, elle délégua sa sœur Lise pour recevoir le précieux document.

Comme le relate son biographe, Michel Arsenault, dans Un rêve pour la vie, le doyen de la faculté de médecine de l'époque, Patrick Vinay, déclarait, lors de la cérémonie, que Lucille Teasdale avait dressé en Ouganda « " l'étendard de l'humanité ". Puis il ajoutait : " Son action et sa personne témoignent de l'infinie valeur des personnes, de l'universalité des drames qui se jouent dans chaque vie humaine, de la fondamentale égalité de tous les hommes, et de la joyeuse espérance qui naît du don de soi". »

Les origines 

Rien ne prédestinait à la médecine, encore moins à la « médecine de guerre », cette jeune femme issue d'un milieu pauvre, dont le père était boucher-épicier. Originaire du quartier Notre-Dame dans l'est de Montréal, Lucille Teasdale était la cinquième d'une famille de sept enfants, ne comptant que deux garçons.

 

 

 

 


Le privilège de travailler chez les démunis
« Elle devait aller à Paris où un poste de résidente l'attendait à l'Hôpital des Enfants-Malades. C'était un privilège important à l'époque. Elle a dit plusieurs fois que, pour elle, le privilège c'était de travailler chez les démunis… Elle a tout mis de côté pour aller traiter des indigents qui avaient besoin de soins, et ce pratiquement sans salaire. »

Pierre-Paul Collin.

Or, dans le Québec des années 1950, où religion et tradition pesaient de tout leurs poids, bien peu de filles parvenaient à s'engager dans l'exigeant cursus menant à la profession médicale. À ceux qui lui disaient que son sexe était un obstacle insurmontable, elle répliquait que toutes les femmes étaient naturellement douées pour la chirurgie « parce que c'est de la couture ! »

Si toute jeune enfant, Lucille s'amusait à soigner ses frères et sœurs en leur « faisant des pansements », c'est vers l'âge de 12 ans, au moment où elle est entrée au pensionnat Sainte-Émilie à Montréal, qu'elle a commencé à faire part de manière concrète de son rêve d'être médecin. Suivront quatre années au collège Jésus-Marie avant l'entrée à la faculté de médecine de l'Université de Montréal en 1950.

Humaniste possédant un sens aigu de la justice, Lucille Teasdale s'était aussi forgé très tôt une conception bien arrêtée de la profession médicale, fondée sur une éthique du devoir peu commune. Déjà, son objectif était clair, nous dit sa sœur Lise Teasdale. « Elle voulait être médecin pour soulager les gens, et non pas pour faire de l'argent. Elle projetait au départ de partir en Inde avec un confrère avec lequel elle étudiait. Mais ce projet est tombé à l'eau. Ce fut sa rencontre avec Piero Corti à Sainte-Justine qui lui a donné l'occasion de poursuivre son rêve. »


L'Afrique 

Piero Corti, ce jeune homme issu d'une famille de la bourgeoise italienne, venu à Montréal se spécialiser en pédiatrie au milieu des années 1950, faisait bien rigoler Lucille en prononçant le « c » à la fin du mot « estomac ». Au-delà de cet accent rigolo, Corti avait le même désir qu'elle de s'expatrier afin de venir en aide aux plus défavorisés de ce monde.

Après avoir essuyé une vingtaine de refus d'universités américaines en vue d'aller parfaire sa formation de chirurgienne, Teasdale débarquait à Marseille au début des années 1960 pour suivre un stage de perfectionnement. C'est là qu'elle a revu Corti lors d'un souper.

Cette rencontre fera basculer sa destinée. « Piero Corti était le fils d'un riche humaniste qui était déterminé à aller ouvrir un hôpital en Afrique. Il avait dit à Lucille qu'il lui manquait un chirurgien et elle aurait répondu : "Je vais te dépanner pour trois mois." Elle y est allée et a finalement décidé de rester en Afrique car il y manquait de médecins. Et elle est tombée amoureuse », poursuit sa sœur Lise.

Au printemps 1961, le couple s'est installé à Gulu, une petite ville du Nord de l'Ouganda, alors colonie britannique. Teasdale et Corti se sont affairés dès l'instant à fonder, avec l'aide d'autres volontaires italiens, leur hôpital baptisé Saint Mary's Lacor. « Son rêve était d'aller à l'étranger car elle disait que c'était là qu'on avait besoin de médecins, alors qu'ici il y en avait assez. Peu de gens sont prêts à aller travailler dans des conditions aussi difficiles. À l'époque, on n'en entendait pas parler de jeunes qui voulaient aller pratiquer la médecine aussi loin », ajoute Lise.

Aux yeux de Pierre-Paul Collin, qui fut en quelque sorte le mentor de Teasdale dont il fut le professeur de 1956 à 1958 au département de chirurgie de l'hôpital Sainte-Justine, celle-ci était une élève exemplaire. « Elle était très travaillante, éclairée et brillante. Elle avait beaucoup de talent et ne tolérait pas que les gens autour d'elle ne fassent pas le maximum. »


L'œuvre d'une vie 

M. Collin parle avec admiration des accomplissements de son ex-protégée. Il se remémore son passage à Gulu, au début des années 1960, peu avant la dictature sanglante de Idi Amin Dada, alors que l'hôpital avait des allures d'un gros dispensaire. « Ils ont tout monté de A à Z, ils ont recruté d'autres spécialistes. Lucille opérait tout l'avant-midi et même l'après-midi. Elle était chirurgienne, Corti était neurologiste et anesthésiste. Elle pratiquait tous les types d'opérations et faisait des choses que je n'ai jamais faites dans ma vie. Elle y allait avec son livre de médecine et son expérience et, de temps à autre, elle m'envoyait un message pour me demander conseil. Mais je ne pouvais pas toujours l'aider. Elle était obligée de tout faire seule. »

Lise se rappelle que la première opération que sa sœur a dû faire fut une césarienne, pratique pour laquelle elle n'avait aucune formation préalable. « Il lui a aussi fallu opérer une religieuse qui avait un décollement de la rétine. Elle a consulté son livre et a bien réussi l'opération. »

Celle qui a connu Teasdale à Sainte-Justine et qui est devenue une de ses bonnes amies, Gloria Jelui, se souvient de l'hôpital de brousse qu'elle a visité en 1963 et des efforts qu'on a dû déployer pour mettre en place un établissement performant. « C'était extrêmement primitif, il n'y avait pas beaucoup de capacité de laboratoire. Mais ce fut très bien aménagé par la suite pour devenir un très grand hôpital. À l'époque, c'était surtout des sœurs italiennes qui composaient le personnel de l'hôpital. Puis ils ont créé une école d'infirmières destinée aux Africaines. Leur objectif final était de préparer la prise en charge de l'établissement par les gens locaux pour ensuite leur redonner le contrôle de leur hôpital. Mais, dans l'intervalle, ils menaient tout au doigt et à la baguette. Aujourd'hui des médecins s'y rendent pour y faire leur stage et l'hôpital est considéré comme un lieu d'enseignement universitaire. » Une cinquantaine de médecins exercent à Gulu aujourd'hui dont un seul est d'origine italienne. L'hôpital compte 550 employés, tous Africains, explique Lise.


La guerre 

Au tournant des années 1970, l'Ouganda basculait dans la guerre. Les groupes rebelles frappaient aveuglément, s'en prenant même au personnel de l'hôpital à l'occasion. Les conditions de travail devenaient de plus en plus périlleuses. Teasdale fut contrainte à plusieurs reprises d'opérer des soldats ou des combattants blessés par balles et dont les os broyés étaient tranchants comme des couteaux.

La chirurgienne se coupa à de nombreuses reprises et contracta vraisemblablement le virus du sida de cette façon. « Elle était forcée de faire de la chirurgie de guerre. Quand on est pris et que personne d'autre ne peut agir, il faut que quelqu'un se décide. C'est évident qu'elle a fait des choses qu'elle n'avait jamais apprises », ajoute M. Collin.

« Lucille opérait parfois deux patients en même temps. Elle allait chercher des balles ou des bouts d'os avec ses mains et se coupait mais ne s'en souciait pas. On ne connaissait rien sur la contamination du sang à cette époque. Pour elle, un malade était un malade, peu importe de quel côté il était », continue Lise.

Malgré le climat politique difficile, sa sœur était très heureuse, relate Lise, car elle pratiquait la médecine comme elle le voulait, en faisant tous les types d'opérations. « Mais elle espérait toujours que les violences cessent. Le plus tragique à ses yeux, c'était les mines antipersonnelles sur lesquelles on plaçait des oursons en peluche pour tuer les enfants qui représentaient la relève pour les rebelles. Ces derniers leur coupaient aussi les jambes pour qu'ils ne puissent pas devenir des soldats. Voir les enfants blessés était ce qu'elle trouvait le plus dur. Souvent elle disait à Piero : "On s'en va, ça n'a plus de sens". Puis le lendemain, elle décidait de continuer », explique Lise.


La maladie 

Le monde de Lucille Teasdale a basculé en 1985 quand on lui a confirmé ce dont elle se doutait déjà : elle avait contracté le sida. Car depuis quelque temps, elle ne se faisait guère d'illusion sur son état de santé déclinant, les bosses sous ses aisselles laissant présager le pire. Elle a accueilli le verdict avec sérénité, soutient Lise. « Elle nous l'a appris au bord de la piscine à Repentigny et tout le monde est sorti de l'eau ! On s'est calmé quand elle nous a expliqué que le sida ne s'attrapait pas comme ça. Pour elle, c'était un risque du métier. »

Après avoir consulté un spécialiste en Angleterre qui lui affirma qu'en prenant des précautions elle pouvait sauver encore beaucoup de vies, Teasdale a décidé de poursuivre son travail. Elle a œuvré jusqu'en mars 1996, quelques mois avant sa mort. « Elle faisait surtout de la clinique à la fin. Piero lui tenait le bras et allait la conduire à l'hôpital. Elle avait appris le dialecte local et c'est elle qui communiquait avec les patients. »

Loin de s'apitoyer sur son état de santé, Teasdale gardait le cap sans se plaindre, jure Mme Jeliu. « Elle n'était pas envahie par sa maladie et en parlait comme d'une chose loin d'elle, comme si elle ne lui accordait pas la même importance que la majorité des gens qui perdent leur intégrité physique. Je la revois dans mon salon parler comme si de rien n'était. En fait, Lucille éprouvait une forme de mépris pour la maladie. Ce qui la tenait, c'était qu'elle devait travailler. »


L'héritage 

Madame Teasdale est décédée en Italie. Après son décès, son corps fut retourné en Afrique, à la demande du gouvernement ougandais. La défunte eut alors droit à des funérailles selon les rites et coutumes du pays qui l'avait adoptée. « Je me suis occupée d'elle la dernière année et si elle avait peur de la mort, elle n'en parlait pas. À son décès, on a fait la fête pendant deux jours et on l'a enterrée sur un terrain près de leur maison, à Gulu », se remémore Lise.

De 1961 à 1996, Lucille Teasdale a effectué 13 719 opérations. Un pareil bilan lui aurait permis de gagner un très bon salaire et de mener une vie aisée au Québec. Or, selon Pierre-Paul Collin, Teasdale ne gagnait presque rien en Ouganda, l'hôpital survivant grâce aux dons étrangers. « Les dernières années, ils n'avaient plus aucun salaire. On n'avait plus d'argent pour les payer après que l'Allemagne et l'Italie se sont retirées. Mais ils ont décidé de travailler quand même », explique Lise.

Travaillante, déterminée, humaine, Teasdale avait aussi tout un caractère et n'était pas toujours facile à côtoyer. Elle exigeait de ceux qui l'entouraient la même rigueur et la même éthique de travail que celle à laquelle elle s'astreignait. « Elle était très soupe au lait. Aussitôt qu'il y avait quelque chose qui ne marchait pas à son goût, elle explosait. Elle n'admettait pas l'erreur », reconnaît Lise.

Sous cette façade austère se cachait cependant une femme d'une très grande sensibilité, poursuit Mme Jeliu. « Curieusement, elle était très timide et renfermée quand je l'ai connue. Elle ne se livrait pas facilement. Mais sous des dehors un peu froids, c'était une femme d'une grande chaleur humaine et d'une grande affectivité, qui cachait des qualités de cœur très intenses. C'est dommage que cette force intérieure soit restée enfouie dans une enveloppe qui ne donnait pas le change pour ce qu'elle était. Elle éprouvait beaucoup de compassion pour ceux qui souffrent. »

M. Collin ajoute que Teasdale n'a jamais regretté ses choix et son engagement envers les défavorisés. « Elle m'a appelé deux jours avant de mourir car je sortais de l'hôpital. Elle voulait avoir de mes nouvelles. Elle aurait dû recevoir le prix Nobel de la paix. Les Corti ont fondé un hôpital, un centre pour les lépreux, ils ont vécu dans la guerre et ont risqué leur vie. Leur œuvre est considérable. »

« Il n'y a pas beaucoup de personnes de sa trempe, de sa qualité, qui peuvent maintenir une telle orientation. Elle aurait pu flancher quand les rebelles tiraient sur l'hôpital et venaient kidnapper des infirmières ou quand elle a dû se séparer de sa fille. On a aussi tenté de tuer Piero Corti qui a été sauvé par une porte en fer. Je ne sais pas comment ils ont fait pour maintenir le cap alors que nous on vivait notre vie quotidienne dans un pays tranquille », renchérit Mme Jeliu.

Au moment où l'on parle de crise de notre système de santé, d'urgences encombrées, de listes d'attente interminables et de pénurie de médecins, il est bon de garder à l'esprit, rappelle M. Collin, qu'il existe une fracture profonde entre notre situation et celle des Africains. « Quand je lis les journaux et que je vois que des dons de millions de dollars vont à nos organisations, je trouve toujours dommage de constater qu'on est incapable d'amasser des fonds pour l'hôpital Lacor. On se fait toujours répondre : "On a tellement de besoins chez nous." Mais leur situation est incomparable. Ici on manque du superflu tandis qu'eux n'ont pas le nécessaire… »

 

 



Adresse de la Fondation Lucille Teasdale et Piero Corti :
8880, boul. Lacordaire - St-Léonard, Québec - H1R 2B3
Tél.: 514-253-1737 Courriel : info@drlucille.org

Site Internet : www.drlucille.org


Pour en savoir plus :

Livres


Michel Arsenault, Un rêve pour la vie : une biographie de Lucille Teasdale et Piero Corti, 1997, Libre Expression, 404 p.


Cet article fait partie d'une série de dix articles réalisée grâce à la contribution financière de






Postez votre réponse
Réagissez à cet article !
Merci!
par Lou le 15 octobre 2008

Un grand Merci a Frederic Denoncour,

grâce a toi,j'ai tout ce qu'il me faut pour mon projet en français!!

 Lou♥♥♥

HIhihihi
par Lucille Teasdale :) le 6 juin 2008

Super

Poster votre réaction

L'envoi de votre réaction est soumis aux règlements et conditions de Tolerance.ca®.
Votre nom :
Courriel
Titre :
Message :
Suivez-nous sur ...
Facebook Twitter