On s'en souvient sans doute, à une époque pas si lointaine, le port du tchador dans les écoles a fait la une de l'actualité au Québec. Le mot tolérance et son antonyme étaient alors sur toutes les lèvres. Il s'est dégagé de cette saga une forte impression que la tolérance en soi était une vertu, qu'il n'y avait de valeur supérieure dans une société multiculturelle que celle de la tolérance. Soit.
L'essai de Fernand Ouellet, qui vient de paraître aux Éditions des Presses de l'Université Laval, met le concept en perspective en le saisissant sous ses différents jours.
Écrit sous le forme d'une thèse, c'est-à-dire dans une démarche dialectique, l'ouvrage tente de comprendre dans quelles conditions le concept de tolérance peut s'avérer porteur pour rendre compte de la pluralité des tendances idéologiques dans une société multiethnique.
Si le concept est problématique, c'est que, dans la réalité, sa mise en pratique peut donner lieu à l'intolérable et ouvrir alors sur sa propre contradiction, parce qu'une tolérance aveugle rend inopérante la notion de valeur et brouille complètement les frontières entre le bien et le mal, entre l'honorable et le déshonorant : « lorsqu'elle abandonne tout principe permettant d'opérer une discrimination entre ce qui peut être toléré et ce qui ne le peut pas, la tolérance libérale aboutit à son contraire », affirme Ouellet.
Cette forme complaisante de tolérance, qui relève du relativisme culturel, n'a en définitive pour dessein que le cautionnement du vice et la légitimation de la démission face à l'intolérable. Parce qu'en fait, ce que souhaitent ses partisans, habités par la logique du « vivre et laisser vivre », c'est que les autres ne portent aucun jugement sur leur propre comportement, fut-il vicieux.
En contexte multiculturel
En contexte multiculturel, cette logique constitue en soi une démission face à la responsabilité commune de briser les cloisons, d'établir des ponts de compréhension, clé de cohésion, entre les composantes sociales issues d'expériences idéologiques diverses.
Ouellet privilégie une conception dynamique de la tolérance, ni amorphe c'est-à-dire reposant sur la prétention que les systèmes de représentation sont immuables et irrationnels et donc qu'il est futile d'envisager des rapprochements, ni taxinomique c'est-à-dire hiérarchisant, où une arrogance mêlée de mépris tient lieu de prisme à travers lequel on perçoit les autres, les considérant comme inférieurs et ne les tolérant en définitive que par bienveillance.
Pour Fernand Ouellet, une société tolérante se bâtit sur l'éducation à la citoyenneté. Mais comment, dans cette perspective, satisfaire à la triple exigence d'ouverture à la diversité, d'égalité de chance et celle de cohésion sociale ?
Pour Ouellet, l'éducation doit répondre à des questions cruciales telles que : les principes moraux et les valeurs varient-elles de façon fondamentale d'une culture à une autre ? Les divergences qu'on observe sont-elles inévitables et inconciliables ? Les gens ne devraient-ils vivre que selon les principes auxquels ils adhèrent ?
Un ouvrage clé sur la problématique de la tolérance dans un monde qui se créolise de plus en plus, d'une qualité pédagogique remarquable, qui saisit avec lucidité les contours du concept.
