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Le centenaire du Devoir. En évoquant les chroniques littéraires

 

À l’occasion du centenaire du quotidien québécois, Le Devoir, notre collaborateur, Naïm Kattan, évoque, pour les lecteurs de Tolerance.ca ®, le souvenir de quelques personnalités qu’il a côtoyées dans ce journal où il signait une chronique littéraire.

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Une amitié me liait à André Laurendeau à partir de 1956. Lors d’un de nos déjeuners, je lui ai demandé : «Comment cela se fait qu’un journal aussi important que le Devoir, dont il était le rédacteur en chef, ne publie jamais d’articles sur les littératures canadienne-anglaise et américaine ?»
 
- Cela vous intéresse ? me demanda-t-il.
- Oui, dis-je.
- Vous êtes notre chroniqueur, me répondit-il.
 
C’est ainsi qu’a débuté ma collaboration aux pages littéraires du Devoir qui se poursuit encore aujourd’hui.

Au cours des années j’ai eu l’occasion de connaître les divers responsables de ces pages. Nombreux sont ceux qui nous ont quittés : Jean Hamelin, Pierre de Grandpré, Gilles Hénault, Jean Basile… Je voudrais évoquer ici la figure de ce dernier. Je l’ai connu dans les années 1950 quand il était libraire à l’angle des rues Côte-des-Neiges et Reine-Marie. Quand il prit la direction des pages littéraires du Devoir, Jean Ethier-Blais était le chroniqueur des lettres québécoises et moi, celui des lettres étrangères, de sorte qu’un jour Victor-Lévy Beaulieu s’était dit surpris que les trois chroniqueurs littéraires du Devoir fussent des étrangers car, pour lui, Jean Ethier-Blais, né en Ontario, était un étranger autant que le franco-russe, Basile et le juif irakien, Kattan.
 
Je rappelle la mémoire de Jean Ethier-Blais.

J’ai fait sa connaissance dans les années 1950 quand il était au service du ministère des Affaires extérieures à Ottawa. Il ne s’est dévoilé en tant qu’écrivain qu’après sa démission de ses fonctions diplomatiques. Ses articles dans le Devoir étaient incisifs. Il suivait son humeur dans sa réaction aux textes, portant aux nues un écrivain comme Hubert Aquin : « Merci mon Dieu, nous l’avons notre grand écrivain », écrivit-il.

Il pouvait aussi accabler une jeune romancière comme Diane Giguère en signalant les intimités de sa vie privée. Il était très attachant personnellement : une conversation éblouissante, pleine de saillies et d’humour, n’épargnant pas les dessous des caractères des personnages dont il ne ménageait pas les travers, sans jamais aller jusqu’à les épingler et, encore moins, les condamner. L’humanité, loin d’être toujours empreinte de beauté, l’intriguait et l’amusait. Il vouait à la littérature un amour sans limites et à la langue, une rigueur sans failles. D’une grande loyauté dans ses amitiés, il était taquin sans tomber dans la moquerie.
 
Constamment fébrile, Jean Basile ne masquait ni son malaise ni sa nervosité. Constamment sur ses gardes, il n’affichait pas son origine et son homosexualité. Dans la note biographique que je lui avais consacrée dans le numéro spécial sur les littératures canadiennes que j’ai préparé en 1966, pour la revue française Les Lettres Nouvelles, j’avais fait mention de son origine franco-russe. Il m’en a voulu d’avoir révélé un secret. Il a changé assez rapidement.

Epousant la contre-culture quand il était encore au Devoir, il ne se gênait plus de faire état de son origine et de sa sexualité. Ses rapports avec Jean Ethier-Blais étaient difficiles et complexes. Il l’admirait, le redoutait et l’évitait. Ne s’adressant pas directement à lui, il me chargeait de lui transmettre des remarques ou des suggestions. Ethier-Blais ne lui répondait pas directement : « Dis à ton ami … » me demandait-il. Il faut surtout signaler que le Devoir de ces années abondait en audaces par rapport au milieu.
 
Plus tard, Jean Basile démissionna du Devoir pour fonder Mainmise, l’organe de la contre-culture, invitant à Montréal les Américains Burroughs et Ginsburg.
 
En dépit de son style souvent flamboyant, Jean Ethier-Blais était plutôt conservateur dans ses goûts et dans ses choix littéraires, citant plus volontiers Saint-Simon que Robbe-Grillet.
 
Je voudrais surtout dire que ces amis disparus sont toujours aussi vivants pour moi.
 

Le 5 février 2010

 



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