Passons tout de suite aux aveux. Je suis un fan de Sugar Sammy. J’aime ses blagues sur les Arabes, qui travaillent tous à Vidéotron; j’aime ses imitations de l’accent haïtien quand il commente les parties de hockey des joueurs… haïtiens; j’aime ses imitations de l’accent des Latinos, et aussi ses blagues sur lui-même et sur les siens, ces gens venus d’ailleurs qui sentent, comme il le dit, les «épices ».
Il lui manque, c’est sûr, quelques blagues sur les Juifs et sur les anglophones.
Je me promets de lui refiler quelques monologues de Gad Elmaleh ou de Jerry Seinfeld, ces humoristes juifs qui savent aussi rire des…Juifs.
Car, au Québec, les Juifs québécois ont perdu le sens de l’humour. C’est peut-être le froid et l’hiver, je ne sais trop. Ce que je sais, c’est que si un Québécois dit tout haut le mot « juif », les Juifs, devenus anglophones, sont sûrs et certains qu’il doit être antisémite. Donc vaut mieux ne pas utiliser ce mot. Je me souviens d’un ancien maire de Montréal qui assurait, il y a quelques années, l’intérim à l’Hôtel de ville. J’étais tout fier qu’il fût juif – une première dans l’histoire, imaginez-vous - ! Mais aucun média francophone n’avait osé préciser qu’il était juif…
Je vous le dis, au Québec, le froid ou les langues (?), cela fait des ravages, cela érige des frontières, des barrages. C’est vrai que je suis originaire d’une ville – Alexandrie – où l’on passait du français à l’arabe, d’une langue à une autre, dans une même phrase !
Mais revenons à Sugar Sammy. Peut-on aussi rire des Québécois et des Souverainistes ? Je me souviens de son monologue sur son prof d’histoire du Secondaire et de la réaction de ce dernier le lendemain du Référendum de 1995. J’ai enseigné l’histoire et je suis souverainiste. J’ai beaucoup ri en écoutant son monologue. C’était son point de vue et celui de sa famille, résidant à Côte-des-Neiges où j’ai aussi vécu.
Si l’on ne peut pas rire de soi et de nos échecs, comment allons-nous reconnaître nos failles ?
J’aime bien les avis de Sophie Durocher et de son mari, tous deux chroniqueurs à la même enseigne. Je partage souvent leur colère et leur révolte. J’ai d’ailleurs été interviewé par tous les deux lorsque, il est vrai, je critiquais le wokisme et les milieux ethniques, mais non pas lorsque je critique certains personnages nationalistes purs et durs qui leur sont proches.
Soyons clairs : sommes-nous en tant que Québécois souverainistes capables de reconnaître que le Québec a changé et, tout en poursuivant notre combat pour un Québec francophone et indépendant, sommes-nous capables de reconnaître ceux et celles d’une autre génération et d’une autre origine ethnique qui perçoivent le Québec différemment et qui critiquent les anciennes façons de penser, lorsqu’ils ne les dénoncent pas ?
Je salue La Presse d’avoir consacré plusieurs pages à ce brillant humoriste et je suis désolé de constater que madame Sophie Durocher dans son article « Sugar Sammy nous fait (encore) la leçon » ne semble pas tenir compte des changements générationnels qui ont cours aujourd’hui au Québec.
Relisez son article et comptez le nombre de fois que le mot « menace » est employé. Comment allons-nous sortir de cette mentalité d’assiégé si madame Durocher traite le Québec de « petit État francophone » ?
Madame Durrocher se demande si Sugar Sammy est au courant que des jeunes Québécois « parlent la langue de Netflix, Amazon et YouTube (et) n’écoutent aucune télé québécoise ».
Mais madame Durocher sait-elle justement pourquoi ils n’écoutent pas la télé québécoise ? Parce qu’ils sont « tannés » de revoir les mêmes acteurs et les mêmes actrices, comme s’il s’agissait des téléromans des années 1960 et 1970 dans lesquels la consanguinité dominait dans les médias québécois.
Combien d’études universitaires ont déjà été consacrées à ce phénomène qui ont démontré que, depuis les 30 dernières années, les jeunes issus de l’immigration, même s’ils parlent le français québécois, considèrent que les médias anglo-américains reflètent mieux leurs réalités et le pluralisme nord-américain, alors que la télévision et le cinéma québécois ne le font pas.
Sugar Sammy a tout à fait raison lorsqu’il a déclaré au journaliste de La Presse : « Tu veux que les gens issus d’autres origines s’intéressent au français? Fais en sorte que des gens comme moi puissent être plus présents dans la culture québécoise ».
Ce sont ces attitudes défensives, fixées sur les menaces et la « protection », peu réceptives à la critique et à l’humour, qui font mal au Québec et à la promotion de l’identité québécoise.
Sophie Durocher, « Sugar Sammy nous fait (encore) la leçon », JDM, 15 mai 2023.