Coiffée de manière ostentatoire du voile islamique, madame Ginella Massa anime depuis le 11 janvier 2021 une émission quotidienne d’affaires publiques à la télévision de langue anglaise de Radio-Canada (CBC). Madame Massa arborait déjà son voile lorsqu’elle animait, depuis quelques années, des émissions sur d’autres réseaux de télévision canadiens de langue anglaise.
Une nouvelle de la Presse canadienne publiée sur le site Internet de Radio-Canada, quelques jours avant l’arrivée de madame Massa sur nos écrans, vante même son exploit en soulignant qu’elle fut, en 2015, «la première journaliste de télévision en Amérique du Nord à porter un hijab à l'antenne ». Elle était alors au service d’un réseau de télévision privé en Ontario.
Comme on le sait, le réseau anglais de Radio-Canada, (CBC), lui, est pancanadien et l’émission de madame Massa, même si elle est diffusée sur le réseau de langue anglaise, s’adresse à tous les Canadiens, y compris aux Québécois. N’est-ce pas significatif d’ailleurs qu’une journaliste voilée apparaisse sur une émission de langue anglaise plutôt que sur le réseau francophone de la société d’État ? La télévision de Radio-Canada a-t-elle souhaité ménager les susceptibilités des francophones du pays, alors qu’au Québec nous sommes plutôt peu favorables à la présence des signes religieux dans l’exercice de nos fonctions ?
La présence d’une journaliste voilée sur les écrans de notre télévision nationale canadienne n’est évidemment pas un phénomène anodin. Elle vise à préparer le public à accepter les symboles religieux dans un secteur aussi sensible que le domaine de l’information, alors que ce secteur devrait demeurer neutre. Ainsi, dans la même nouvelle de la Presse canadienne dans laquelle on vante l’arrivée de madame Massa sur les ondes de la société d’État, on nous apprend que l’émission Canada Tonight with Ginella Massa sera diffusée en direct à 20 h, « c’est-à-dire à une heure de grande écoute », nous précise-t-on.
« Cette émission quotidienne, souligne-t-on aussi, vise à couvrir l'actualité à partir d'une variété de perspectives qui ne sont pas nécessairement présentées au pays ».
Or, le 21 janvier 2021, dans le cadre de son émission sur la démission de la Gouverneure générale, Julie Payette, madame Massa interroge des invitées appartenant toutes à des minorités visibles ou, pour employer le nouveau vocable, à des individus appartenant à des groupes dits « racisés ». Dans quelle mesure cela correspond-il à « une variété de perspectives » comme le souligne Radio-Canada, alors qu’aucune personne blanche ne participait au panel animé par madame Massa ?
Tandis que l’on vise à lutter, à juste titre, contre le racisme et la marginalisation des groupes et des individus, ne réagit-on pas plutôt en reproduisant les mêmes comportements que l’on se propose de combattre en pratiquant l’exclusion ? Si l’on se soucie de diversité, ne devrait-on pas inclure aussi des invité-e-s appartenant à la majorité blanche ?
Dans quelle mesure le qualificatif de majorité « silencieuse » ne convient pas encore mieux aujourd’hui qu’il ne le fût autrefois pour décrire le mutisme d’une large partie de la population face à ce phénomène qui pratique, à sa manière, l’exclusion ? Ce silence est évidemment compréhensible car toute position critique risque aujourd’hui d’être assimilée aux groupes d’extrême droite dont raffolent de nombreux médias et les réseaux sociaux.
Existera-t-il bientôt un seul espace médiatique qui permettra une critique objective et intelligente des groupes « racisés » ?
Dans ce même esprit, s’est-on le moindrement interrogé sur l’effet qu’auraient sur la neutralité de l’information les symboles religieux qu’arboreraient des journalistes dans le cadre de leurs fonctions ?
Je suggère à ceux et à celles qui se préoccupent de neutralité et d’objectivité dans le domaine des communications de porter attention aux critères qui doivent permettre un traitement objectif de l’information, critères qui sont pourtant clairement inscrits, soit dit en passant, parmi les « Normes et pratiques journalistiques» de Radio-Canada, dans la section intitulée, de façon appropriée « Conflits d’intérêts » où on peut lire ceci sur les fonctions du journaliste, fonctions que je me permets de souligner :
On s’attend à ce que nous soyons d’abord et avant tout indépendants et impartiaux. Notre première allégeance va au public. Tout conflit réel ou apparent entre l’intérêt public et notre intérêt personnel risque d’éroder la confiance que les Canadiens ont en nous.
Nous nous efforçons ainsi d’éviter tout geste qui puisse avoir l’apparence de partisanerie ou de parti pris pour une cause.
Nous choisissons avec circonspection les organisations avec lesquelles nous nous associons. Nous prenons particulièrement garde à ce que nous disons en public. Nous reconnaissons que nos liens professionnels et personnels peuvent façonner la manière dont le public perçoit notre travail.
Compte tenu de la présence de symboles religieux, ne devrions-nous donc pas nous interroger sur leur compatibilité avec ces « Normes et pratiques journalistiques » énoncées par Radio-Canada ?
S’il nous faut assurer une présence de la diversité dans nos médias, ne faudrait-il pas aussi veiller à ce que celle-ci ne se fasse pas au détriment de l’esprit critique ?
Ce sont ces questions fondamentales touchant l’objectivité de l’information que nous devrions soulever auprès des réseaux d'information, dont Radio-Canada, indépendamment de la question du voile islamique, car le monde politique et les médias semblent aujourd’hui investis d’une mission visant à réparer des injustices.
Or, est-ce bien le rôle des médias et du monde politique de se constituer en redresseurs de torts ?
Notes
Madame Ginella Massa est correspondante de The National de la CBC et anime l'émission Canada Tonight, qui est diffusée en semaine à 20 heures sur CBC News Network.
- Pour la nouvelle de la Presse canadienne annonçant l’arrivée de madame Massa, voir « Une première journaliste à porter le hijab au Canada dans une émission nationale »
- Vidéo au panel portant sur la démission de la Gouverneure générale : https://www.cbc.ca/player/play/1847460931694
- Site Internet de Radio-Canada pour les Normes et pratiques journalistiques
- Site Web de madame Ginella Massa : https://www.ginellamassa.net/
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Ancien membre du Conseil de presse (1987 – 1989), Victor Teboul est l’auteur de plusieurs séries d’émissions diffusées à la radio de Radio-Canada, dont la série Le Québec au pluriel. Il a aussi été un des principaux organisateurs du Congrès de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), tenu en 1987, dont le thème portait sur le racisme et la place des communautés culturelles dans les médias québécois.
23 janvier 2021