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Être catholique aujourd'hui ou comment résister aux conformismes

Photo : Gunther Gamper*
Victime des perceptions à la mode, la jeunesse catholique subit incompréhen-sion et marginalisation. Vivre dans une société de consommation amène inévitablement son lot de difficultés, particulièrement pour les jeunes Québécois qui ont fait le choix d’ancrer leur vie dans la foi chrétienne. Quand l’opposition se fait frontale entre tendances branchées et besoin de croire.

Dimanche soir, 18 décembre. Il est 19h00. Une vingtaine de jeunes étudiants de l’Université de Montréal entrent au Centre étudiant Benoît-Lacroix (CEBL), sur le chemin de la Côte-Sainte-Catherine à Montréal, à proximité de l’institution universitaire. Ils reviennent d’une messe qui vient tout juste de se dérouler, à quelques mètres du couvent Saint-Albert-le-Grand des Dominicains où logent les nouveaux locaux du centre.

«Normalement on est un peu plus nombreux les dimanches soirs. Mais à cause de la fin de session et des examens, il y a moins d’étudiants aujourd’hui qu’à l’habitude», indique d’entrée de jeu la jeune responsable des activités socioculturelles du CEBL, Hélène Parent. Elle précise alors que les étudiants se rassemblent ainsi de façon hebdomadaire afin d’échanger. «Ils viennent ici pour souper et discuter ensemble», précise-t-elle.

Des regroupements du genre, qui offrent activités et occasions de se rencontrer, il y en a dans toutes les universités montréalaises – UQAM (Université du Québec à Montréal), l’Université Concordia, l’Université McGill – ainsi que dans de nombreux cégeps1. Toutefois, la différence fondamentale entre ceux-ci et le CEBL réside dans la désinstitutionalisation complète et forcée de ce dernier, en 1997. Le centre, désormais autonome de l’université, doit aujourd’hui se tourner vers les dominicains et le diocèse de Montréal afin d’obtenir les ressources financières nécessaires pour offrir une vie pastorale aux étudiants de l’Université de Montréal.

Pas facile d’être pratiquant aujourd’hui au Québec 

Mais il n’y pas que les centres de pastorale qui ressentent les contrecoups de la laïcisation de la société québécoise. Hélène Parent résume, pour sa part, la réalité vécue par les jeunes en une proposition simple, mais fort efficace: «Plusieurs sont victimes de discrimination religieuse; ils sont parfois marginalisés, voilà en fait la réalité». Elle dose aussitôt ses propos en ajoutant qu’il ne s’agit pas pour autant de les victimiser. «Ils n’ont pas l’âme de martyres, je vous l’assure», sourit-elle.

Or, les étudiants rencontrés au cours de cette soirée admettent sans la moindre hésitation qu’il n’est pas des plus faciles d’être pratiquants aujourd’hui au Québec. Jonathan Blais, un étudiant en sciences politiques dans la jeune vingtaine, reconnaît que la religion n’a pas la cote chez les jeunes de son âge et qu’il est à l’occasion éprouvant de subir l’incompréhension qui règne à l’égard des croyances et des pratiques religieuses. «Plusieurs perçoivent la religion comme si elle détenait une espèce d’aspect sectaire. Au Québec, on le remarque particulièrement à l’égard du christianisme. Mais ça, c’est mal le connaître», confie-t-il.

Cette incompréhension n’aurait rien d’une fabulation; elle existerait bel et bien, souligne Raymond Lemieux, spécialiste de la religion de l’Université Laval. Elle s’expliquerait par le fait qu’en moins d’un demi-siècle, le conformisme aurait littéralement radicalement changé de camp : «Ici, les jeunes d’autrefois étaient complètement acculturés dans le catholicisme; le conformisme y régnait en maître. Mais les choses ont bien changé. Le conformisme est aujourd’hui dans la sphère du laïc et du séculier. »

Il ajoute d’un trait que la grande majorité des jeunes puisent désormais leurs repères dans une culture issue de la mass médiation. «Et cela peut avoir comme effet de marginaliser ceux qui sont différents, dont ceux qui pratiquent toutes formes de religions. »

Donc, vestige toujours présent du fossé qui s’est creusé entre la culture catholique vivante et la culture publique québécoise depuis la Révolution tranquille, cette crainte à l’égard du religieux est une réalité bien sentie. Dans l’article, « La vitalité paradoxale du catholicisme québécois », publié en collaboration avec Jean-Paul Montminy dans le collectif Le Québec en jeu. Comprendre les grands défis, aux Presses de l’Université de Montréal, Raymond Lemieux avait déjà fait remarquer que «le mot “religion” lui-même, naturellement associé au catholicisme par les Québécois, est devenu une sorte de repoussoir, évoquant les arguments dits d’autorité et l’imposition plus ou moins subtile d’un mode de pensée impérialiste».

Le père Benoît Lacroix, figure cléricale reconnue dans le paysage médiatique québécois, admet que la perception des laïcs exerce une pression certaine sur la jeunesse catholique: «En général, les jeunes sont maintenant craintifs à l’égard de toutes sortes d’engagements; qu’ils soient religieux, politiques ou autres. Plusieurs perçoivent donc les jeunes pratiquants comme des gens un peu «suiveux», voire arriérés. Et on doit avouer que le discours médiatique qu’on entend régulièrement renforce cette vision», déplore le dominicain.

L’incompréhension, voire la marginalisation, serait encore plus prononcée chez ceux qui font le choix de consacrer leur vie au christianisme. C’est le cas de Marie-Ève Mador, 24 ans, qui, tout en continuant ses études à l’Université de Montréal, fait actuellement son cheminement chez les sœurs de Notre-Dame du Saint-Rosaire.

«C’est toujours difficile pour les autres de comprendre. Lorsque j’ai annoncé que je désirais faire mon cheminent pour devenir sœur; une de mes amies m’a tout simplement dit “cette fois, je ne te suis pas là-dedans”. » Elle précise néanmoins qu’après un temps, les gens «acceptent sans trop de problèmes» et qu’en en discutant, ils arrivent même à comprendre les fondements de cette décision.

«En fait, la mauvaise image qu’ont les autres jeunes vient tout simplement de la méconnaissance qu’ils ont de la religion. Pour la majorité ils n’en connaissent que ce que leurs parents leur en ont dit, ce qui, pour plusieurs, reste négatif», constate-t-elle.

«La religion, une façon d’aborder la vie, selon des valeurs» 

À vrai dire, la situation du Québec est fort paradoxale. Il y a un décalage évident entre l’identification au catholicisme et la pratique. Un recensement effectué en 2001 souligne que le Québec est la province qui enregistre le plus faible taux de pratique au Canada. Mais ce recensement indique également que les Québécois restent ceux qui s’identifient encore le plus à la religion catholique romaine, et ce, malgré le fait qu’ils aient déserté la messe à 83,2%.

Même paradoxe lorsqu’on observe ce qui se passe au sein de la jeunesse québécoise. Une enquête, réalisée auprès de jeunes âgés de 15 à 24 ans à la fin de l’année 1989 pour la Fondation de la jeunesse canadienne, révélait que 93% des jeunes Québécois provenant de familles catholiques continuent de s’identifier à la foi catholique. Toutefois, malgré le haut degré d’identification, seulement 17% d’entre eux assistent à une messe hebdomadaire et 7% se déclarent membres effectifs des paroisses locales. Il n’y a qu’un jeune sur 10 qui affirme que la religion est très importante pour lui.

Le père Lacroix rappelle que la jeunesse a donc dû adapter ses pratiques aux réalités contemporaines. Fait notable: c’est en fait l’Église qui aurait perdu de sa notoriété, et cela, au profit du message transmis par le christianisme. «C’est d’autant plus marquant chez les jeunes d’aujourd’hui; ceux que je rencontre, sont des pratiquants qui font un retour au message de base, à ce qu’on lit dans les Évangiles. En d’autres termes, ils enlèvent la dentelle pour retrouver le tissu. L’Église d’autrefois était une Église d’obligation. Aujourd’hui, l’Église en est une de choix», affirme-t-il.

Jonathan Blais abonde dans le même sens : «Il ne s’agit pas de suivre à la lettre le petit catéchisme comme on pouvait le faire autrefois, mais bien de mettre les mains à la pâte et d’agir. Cela ne veut pas dire pour autant qu’on a une foi plus relâchée; disons plutôt qu’on a une foi plus ouverte. »

L’adaptation de la religion se fait donc sous le sceau d’un certain individualisme. L’action avant la contemplation et l’obligation, résume l’étudiant. «La religion n’est pas une recette ou un mode d’emploi dont on doit suivre les directives; c’est plutôt une façon d’aborder la vie selon des valeurs», constate-t-il. Mais au fait, ces valeurs, quelles sont-elles? Marie-Ève et Jonathan répondent tous deux : «le respect de l’autre et de la dignité de la personne, et l’ouverture».

S’approprier le christianisme 

Le détachement vécu d’avec les pratiques traditionnelles est désormais flagrant. Les jeunes s’approprient le christianisme en l’adaptant à leur rythme et style de vie. Une cassure marquée avec le passé qui prend forme dans une pratique individualisée qui gravite aujourd’hui autour de réseaux ayant davantage l’allure de regroupements communautaires que d’organisations religieuses conservatrices, hyper-structurées et hiérarchisées.

Photo: Gunther Gamper**
Cet esprit de communauté teinte d’ailleurs les nombreuses organisations du Québec destinées aux jeunes. C’est le cas de la Bande FM, un réseau de jeunes adultes (18-35 ans) détenant comme point en commun la croyance ainsi que le désir profond de partager leur foi. Située non loin du centre-ville de Montréal, dans la paroisse Saint-Louis-de-France, la Bande FM – F.M. étant l’acronyme de «foi» et «mission» – est avant tout un regroupement paroissial qui organise activités, rencontres et conférences sur divers sujets de la vie en société. Il est également devenu, depuis sa création il y a près d’une décennie, un lieu de résidence pour les étudiants des niveaux collégial et universitaire désirant vivre, de façon quotidienne, une expérience religieuse.

Lorsqu’on demande au responsable du réseau et prêtre de la paroisse, Alain Mongeau, de faire une lecture des pratiques religieuses chez les jeunes, il répond: «La foi s’exerce plus secrètement qu’auparavant, c’est certain. Au Québec, on pourrait comparer l’état de la foi à celle d’une crise d’adolescence. Il y a eu une opposition qui s’est effectuée afin de se libérer d’une tutelle et plusieurs gens entretiennent encore aujourd’hui un préjugé à l’égard de la religion, et cela sans avoir aucun contact avec elle. Cette crise de rejet est d’ailleurs caractérisée par une ignorance profonde. »

Et selon le prêtre de 42 ans, qui n’a découvert la foi qu’à l’âge de 23 ans, cette situation n’est pas sans avoir d’impact sur les jeunes Québécois qui souhaitent continuer à croire et pratiquer le christianisme: «Ils vivent avec la souffrance de vivre une très belle expérience qu’ils ne peuvent partager. »

Selon Raymond Lemieux, cette mouvance communautaire est propre à l’ensemble des jeunes et pas seulement aux catholiques pratiquants. «Il faut comprendre que les jeunes font face à un monde anomique. De plus, ils ont accès à des aspirations sans avoir les moyens de les réaliser. Le besoin de se regrouper est donc bien réel. Certains font le choix de se tourner vers la religion. »

L’apogée de ces regroupements trouve sans l’ombre d’un doute ses échos lors des Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) qu’organise annuellement l’Église depuis 1984 et qui dure en fait une semaine. Ce «Woodstock de la foi chrétienne» attire des millions de jeunes chaque année. Un événement hautement médiatisé qui donne l’impression au monde entier que la jeunesse catholique est bel et bien vivante et qu’elle reprend même du poil de la bête.

Néanmoins, si plusieurs se retrouvent à l’intérieur de tels événements, les JMJ ne pourraient être prises comme des représentations fidèles de la façon dont les jeunes vivent leur foi au quotidien, confie Jonathan Blais. «Il s’agit avant tout, selon moi, d’un événement, d’un lieu de rassemblement», confie-t-il.

D’ailleurs, dans un article publié dans Le Devoir à l’occasion de la JMJ de Cologne (2005), en Allemagne, un doctorant en théologie de l’Université Laval, Jean-Philippe Perreault, écrivait à la suite de recherches: «Les JMJ demeurent un phénomène marginal. (…) La présence de 7000 jeunes Canadiens à Cologne, jugée pourtant sans précédent, ne traduit qu'un taux de participation de 0,2 % chez les Canadiens se disant catholiques et en âge d'assister au rassemblement. Selon le même calcul, à Toronto, en 2002, le taux de participation des jeunes Québécois n'était que de 0,4 %. C'est dire que si les jeunes sont absents des églises, leur participation aux JMJ est quantitativement encore moins significative. »

Toutefois, si le retour en force du communautaire – «à ne pas se tromper avec le communautarisme» – est un fait établi, Raymond Lemieux tient à préciser qu’il ne s’agit pas de l’unique voie qu’empruntent les jeunes lorsqu’il est question de religion. Le spécialiste distingue trois types d’engagements: 1) les jeunes qui se tournent vers le christianisme afin de trouver une communauté d’appartenance avec laquelle ils pourront vivre leur velléité d’engagement, 2) les jeunes qui sont en quête ouverte, qui recherchent un sens à l’existence, et finalement, 3) les jeunes qui utilisent la sphère religieuse pour se replier du monde. Et malheureusement, note-t-il, «il s’agit d’une sorte de fondamentalisme qu’on retrouve de plus en plus».


1 Cégep : Collège d’enseignement général et professionnel, appellation québécoise d’une institution d’enseignement d’ordre collégial.

* M. Alain Mongeau, prêtre de la paroisse Saint-Louis-de-France, célébrant la messe.

** Des membres de la «Bande FM» en compagnie de M. Alain Mongeau.

Pour en savoir plus:

GUILLEBAUD, Jean-Claude. La Force de convictions, Seuil, 2005, 400 p.

LAROUCHE, Jean-Marc, MÉNARD, Guy et al. L’étude de la religion au Québec: Bilan et prospective, Presses de l’Université Laval, 1992, 532 p.

PERREAULT, Jean-Philippe. «Le mystère JMJ», Le Devoir, 23 août 2005.

VAILLANCOURT, Jean-Guy et al. Catholicisme et société contemporaine, Sociologie et sociétés, vol. XXII, no2, Presses de l’Université de Montréal, 1990.


Cet article fait partie d'une série sur la diversité des valeurs et des croyances religieuses dans les milieux collégial et universitaire réalisée grâce à la contribution financière de :






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Ètre catholique aujourd'hui ou comment résister au convormisme
par Patrick Vezina le 11 février 2007

La Bande FM est «un regroupement paroissial qui organise activités, rencontres et conférences sur divers sujets de la vie en société»... c'est en fait un regroupement qui occupe l'espace d'une paroisse en éclipsant les plus de 35 ans qui ne se voient offert aucun service. Le prêtre, entièrement consacré aux jeunes, n'est jamais disponnible pour les paroissiens, même pas du sacrement de réconciliation. Alain Mongeau n'a pour les non-membres de la Bande FM aucune disponnibilté. Il exerce un ministère discrétionnaire. C'est une paroisse qui choisit ses membres. La Bande FM n'a jamais compris beaucoup plus de 20 membres. C'est étrange qu'ils fassent l'objet d'un article chez vous car ils ne sont pas tolérants envers les autres générations de chrétiens.
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