L’environnement : engouement passager ou préoccupation réelle ?

Rarement aura-t-on autant parlé d’environnement qu’en 2007. Un survol rapide des dernières parutions révèle l’importance sans cesse croissante accordée aux questions du réchauffement global, de l’énergie nucléaire et des produits biologiques. Des films documentaires – le plus marquant étant sans conteste An Inconvenient Truth de Davis Guggenheim, mettant en vedette Al Gore – s’inscrivent dans cette foulée. Il ne se passe pas une semaine où l’on ne parle d’environnement dans les nouvelles, qu’il s’agisse de l’apparition d’une bactérie infestant des lacs ou de l’inauguration d’une nouvelle piste cyclable. Cela est-il révélateur d’un changement profond ou n’est-ce qu’une simple passade? On taxe souvent d’irréversibles les dommages causés à l’environnement. Est-ce que les gens, les jeunes en particulier, pensent qu’ils peuvent intervenir pour changer le cours des choses? S’en préoccupent-ils? Et, s’ils le font, quel rôle pensent-ils être en mesure de jouer? Tolerance.ca a interrogé des étudiants et des jeunes professionnels, de même que des spécialistes de la question afin de connaître leurs opinions.
« Aussi loin que je me souvienne, et de différentes manières, je me suis intéressée aux questions d’environnement. Quand j’étais enfant, j’étais cette petite « peste » qui semonçait les gens lorsqu’ils laissaient traîner des déchets, affirme Alexandra DiPaolo, 27 ans, titulaire d’une maîtrise en travail social de l’Université McGill, à Montréal. Pour sa part, Jessie, 25 ans, étudiante en marketing dans un collège technique, ne se souvient pas avoir été marquée par ces questions dans son enfance. « Mes parents ne parlaient jamais d’écologie ou de la nature. Nous réutilisions certains objets par mesure d’économie. Cela n’avait rien à voir avec la planète. Cela m’a pris longtemps, en fait, ce n’est que tout récemment que je me suis intéressée à ces questions. Je suis certaine que j’y aurais été sensible beaucoup plus jeune si mes parents en avaient été conscients. »
Maxime, 23 ans, étudiant à l’Université de Montréal, a travaillé plusieurs étés pour Vélo Québec, un organisme qui promeut le cyclisme et le développement des pistes cyclables au Québec. En dépit du fait que sa mère se soit souciée des questions d’environnement, ce n’est qu’à son arrivée au cégep* qu’il a vraiment compris qu’il n’était « pas seul sur la planète » et qu’il a commencé à militer en ce sens.
Jenn Davis, 25 ans, est coordinatrice de Sustainable Concordia, un organisme qui vise à rendre cette université montréalaise plus équitable socialement et plus vigilante en matière d’environnement. Même si son éducation familiale la prédisposait à s’occuper d’écologie, c’est d’abord son intérêt pour le syndicalisme qui l’a amenée à se joindre au groupe. Au départ, dit-elle en riant, elle ne voulait pas faire partie d’un club voué à l’environnement mais, depuis 4 ans, elle intervient activement pour aiguiser la conscience des étudiants du campus en la matière.
Toutes les personnes interrogées ont évoqué diverses raisons qui les ont amenées à s’intéresser davantage à l’environnement. Leurs actions sont également différentes. Jessie, qui travaille comme serveuse tout en étant étudiante, ne recycle pas. Elle admet que cela est important mais doute fort que les contenus des bacs verts de son quartier de Saint-Henri soient effectivement recyclés. Elle n’est d’ailleurs pas la seule à penser ainsi. Christian, un Autrichien de 22 ans, qui vit dans le quartier branché du Plateau-Mont-Royal depuis bientôt 2 ans, explique qu’il en va tout autrement en Europe. Là, les articles à recycler doivent, avant même d’être cueillis, être classifiés par groupes selon leur matériau, voire même leur couleur lorsqu’il s’agit d’objets en verre. « Ici, tout est pêle-mêle. Je ne crois pas qu’ils passent tout cela au crible. »
Christian et Jessie ne sont pas les seuls à manifester un tel scepticisme envers le recyclage. Même si le fait de recycler s’est beaucoup répandu depuis une dizaine d’années, pas mal de gens se demandent où aboutissent réellement les contenus des bacs. Cela est-il utile? Si oui, à quoi?
Pouvons-nous vraiment changer quelque chose?
À 27 ans, Tara est étudiante à l’Université McGill. Elle pratique le recyclage et, dans la mesure du possible, achète des produits locaux. Elle se sent néanmoins quelque peu impuissante : « Les enjeux sont immenses, l’échéancier est vague. Il y a tellement plus à faire que de se demander si on doit ou non utiliser des sacs de plastique lorsqu’on fait ses courses. Tout cela implique tellement d’industries à différents niveaux de la chaîne de production. » Elle estime, toutefois, qu’un nouveau type de consommation est en train de naître des préoccupations environnementales. « Aujourd’hui, s’intéresser à l’environnement signifie acheter les bons produits mais il reste que la pulsion d’acheter est toujours là. C’est difficile de savoir comment changer les choses. Rien n’est plus comme avant. Les marchandises ne sont plus faites pour durer longtemps. » Elle remarque, avec humour, que lorsqu’elle reçoit plusieurs amis à manger, certains d’entre eux ne cessent de la harceler parce qu’elle utilise de la vaisselle jetable. « Il n’est pas question que je lave toute cette vaisselle », se défend-elle.
Alexandra DiPaolo réagit tout à fait différemment. Elle pèse l’impact de chacun de ses gestes. En plus de recycler et de composter, elle utilise sa bicyclette dans la mesure du possible. Quant à son mari, il voyage en vélo à l’année longue. Elle est ravie d’annoncer que, pour la première fois, les pistes cyclables de Montréal seront dégagées durant l’hiver. Malgré tout, selon elle, sa plus grande contribution est d’être devenue végétarienne. « Cultiver des fruits et des légumes exige de 6 à 20 fois moins d’eau et de ressources énergétiques que d’élever des animaux de boucherie. » Elle s’efforce de s’approvisionner localement. « Tout produit moyen doit voyager des milliers de kilomètres avant d’arriver à notre table. Lorsque je dois choisir, je préfère les aliments locaux aux denrées biologiques venues d’ailleurs à cause de la pollution causée par le transport. »
Certains choix « verts » peuvent toutefois sembler relever du luxe. Le coton bio et le chocolat équitable coûtent plus cher que les marques courantes. Lorsque l’on soulève ce point parmi les membres de Sustainable Concordia, Arlene Throness, 25 ans, étudiante en sciences politiques, explique pourquoi elle a récemment choisi d’acheter du lait bio : « Je me suis rendu compte qu’évoquer le prix plus élevé relevait d’une fausse appréciation des choses. Je dépensais volontiers 5 dollars pour une bière mais j’hésitais avant de le faire pour du lait. Tout cela a bien changé maintenant. »
Modifier son mode de vie
Jenn Davis déplore les effets de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) sur le marché québécois. En effet, le Québec exporte 80% de ses produits biologiques, ce qui les rend moins accessibles à la population d’ici. De plus, la nourriture qui est retournée au Québec en vertu de cet accord est souvent de moindre qualité. Elle souligne cependant que les grandes compagnies peuvent intervenir sur les choix des consommateurs. En dépit de tout ce que l’on peut reprocher à Walmart dans différents domaines, cette multinationale a amorcé un virage en vendant des produits biologiques ainsi que des appareils ménagers exigeant moins d’eau et d’énergie. « Walmart peut se le permettre à cause de son pouvoir d’achat. Elle expédie son matériel en utilisant le bio diesel. De cette manière, même les gens moins fortunés peuvent acheter bio. »
Arlene Throness ajoute : « Nous n’allons pas changer le monde mais lorsqu’on leur laisse le choix entre deux produits, les gens choisissent la meilleure qualité. Ma belle-mère se procure maintenant du café équitable. Il y a quelques années, je ne savais même pas que cela existait. Maintenant, on en trouve dans presque tous les magasins. Trier ses déchets est devenu la norme. Tout cela représente autant d’habitudes quotidiennes, de petits comportements à changer. »
C’est précisément le type d’actions que préconise Sustainable Concordia. Jenn Davis est certaine que les réflexes acquis par les étudiants déborderont les cadres du campus : « Les étudiants sont une population transitoire. Nos volontaires militent en moyenne pendant 2 ans avec nous. Ils apprennent beaucoup de leur travail, deviennent plus efficaces, ils se rendent compte qu’ils peuvent changer les choses. Ainsi, lorsqu’ils retournent dans leur milieu, ils sont plus tenaces, ont développé les habiletés nécessaires pour rassembler les gens. De plus, ils savent qu’ils peuvent compter sur un réseau de support. De cette façon, notre action se répand bien au-delà des limites du campus. » Jenn rappelle qu’après leurs études, plusieurs membres du groupe se sont engagés dans des actions de plus grande envergure. Ainsi, certains d’entre eux ont structuré des mouvements pour promouvoir l’agriculture locale en Ontario, d’autres sont allés protester à Mexico contre les négociations de l’Organisation mondiale du commerce, l’un milite pour la sauvegarde des rivières au Canada, un autre participe à un comité de l’Organisation des Nations Unies et, enfin, un dernier agit comme consultant auprès d’un important projet d’aménagement en Afrique du Sud. « Il y a des gens qui sont allés loin et ont réussi un travail immense », conclut Jenn.
Le Centre universitaire de formation en environnement de l’Université de Shebrooke, avec quelque 500 étudiants issus de formations différentes et inscrits à la maîtrise et en éducation permanente, constitue le plus important programme du Québec en la matière. Selon Jean-François Comeau, directeur adjoint, l’intérêt envers l’environnement n’a cessé de croître. « Auparavant, il s’agissait de poussées cycliques mais, depuis un an ou deux, on remarque l’émergence d’une nouvelle sensibilité face à ces questions. » M. Comeau explique cela par l’inquiétude provoquée par la diffusion dans les médias de questions préoccupantes, dont la dégradation de la qualité de l’eau qui affecte plusieurs zones rurales du Québec.
Anjali Helferty, coordinatrice de Sustainable Campuses à la coalition Sierra Youth d’Ottawa, reste plus réservée. « Ici, au Canada, nous ne sentons pas l’urgence d’agir. Cela me préoccupe. » Helferty attribue cette stagnation aux coupures de subventions subies par les organismes autant qu’au manque de volonté des autorités de s’engager dans les questions environnementales. « L’abandon de l’Acte propre de l’air du Canada (une loi émise au Canada, en 2006, qui vise la réduction de la pollution atmosphérique et de l’émission des gaz à effet de serre) n’est qu’un de ces nombreux exemples. Le Premier Ministre a beau prêcher, ses actes ne démontrent aucunement son engagement envers l’environnement ou le bien-être futur des Canadiens. »
Geneva Guerin, codirectrice du Groupe de Solutions pour un Développement Durable à Montréal, estime que l’on se gave de belles paroles mais que l’on ne lève pas le petit doigt pour assurer le développement durable. « Tout le monde en parle, tout le monde veut être “vert”. Certains proposent des solutions pertinentes mais je ne vois aucune intervention du gouvernement pour appuyer ces initiatives. » Elle rappelle que le gouvernement du Parti conservateur actuellement au pouvoir a coupé les subventions pour la construction d’édifices écologiques, ainsi que 1,6 millions dans les programmes sur les changements climatiques. « Ils ont annoncé que de nouveaux subsides allaient être alloués à l’environnement. Mais ce qu’ils font en réalité n’est que de promettre de rendre une portion de ce qu’ils ont déjà enlevé. De plus, aucun versement n’a encore été fait et, pendant ce temps, les nouveaux programmes ont été interrompus. » Jean-François Comeau de l’Université de Sherbrooke affirme que l’actuel gouvernement conservateur a défait ce que le précédent gouvernement libéral avait mis tant de temps à mettre de l’avant. « Tout cela est regrettable. Pour ce nouveau gouvernement, l’environnement n’est pas un sujet important. »
Madame Guérin établit une distinction entre les paliers de gouvernement. Si le gouvernement provincial fait des efforts de sensibilisation, ce sont surtout les autorités municipales qui jouent un rôle important. « À l’heure actuelle, les paliers supérieurs n’exercent pas le leadership attendu. Dans la pratique, ce sont les municipalités et les groupes de citoyens qui ont le pouvoir. » Mais les municipalités n’ont pas les moyens financiers pour appliquer ces programmes. C’est pourquoi l’investissement de temps et d’efforts des citoyens pour améliorer la qualité de la vie est important.
S’engager
Nicole Loubert préfère se définir comme une citoyenne engagée. Elle a été amenée à militer, il y a 15 ans, à cause des torts que causait l’exploitation d’une carrière dans son quartier de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve. Grâce à l’action de résidents comme Nicole Loubert, les administrateurs de la carrière se sont vus forcés de collaborer avec la municipalité et les citoyens pour instaurer des conditions de travail qui ont bénéficié à tous. « Les motivations des gens de mon quartier concernaient les améliorations à apporter sur le plan local, non la cause environnementale en général. » À la suite de cette expérience, Loubert est persuadée du fait que l’esprit d’équipe et l’engagement de citoyens peuvent provoquer des changements favorables. Grâce à l’action du comité sur l’environnement dont elle est membre, plusieurs progrès en aménagement durable ont pu être apportés dans son quartier. Nicole Loubert regrette cependant le peu de participation des jeunes. « Ils ne se rendent pas compte de la place qu’ils peuvent occuper. Ils n’ont pas à être découragés avant de commencer. Nous avons le pouvoir d’influencer les décisions municipales, il faut accepter que cela se produise petit à petit, rarement de façon spectaculaire. »
À 23 ans, Anjali Helferty estime que les jeunes se sentent lésés parce qu’ils n’ont pas maintenant de pouvoir décisionnel et qu’ils savent qu’ils seront plus tard les victimes des dommages causés à la planète. « C’est le moment ou jamais d’agir et nous sommes frustrés du manque de leadership actuel. » Mais elle clame qu’il n’y a pas matière à démissionner. « Je sais que les gens peuvent changer. Et même si la bataille semble ardue, je suis certaine que nous la gagnerons. Peut-être n’irons-nous pas aussi loin qu’il le faudrait, particulièrement en ce qui concerne les changements climatiques. Mais je crois que nous pouvons réussir et je ferai mon possible pour y arriver. »
Arlene Throness, l’étudiante en sciences politiques, croit que le fait que l’environnement devienne un sujet « in » influe sur plusieurs aspects de notre vie, qu’il s’agisse de produits écologiques, de nourriture bio ou d’habitations vertes. « Les changements de comportements prennent un certain temps; tâchons de les rendre agréables autant que possible », commente Jasmine Stuart, étudiante de 25 ans et membre de Sustainable Concordia. Pour elle, il s’agit surtout de simplifier leur application. Elle cite en cela les sacs réutilisables que l’on peut acheter dans presque tous les supermarchés. « Si, par exemple, on pouvait faire le plein d’éthanol à la station service, je le ferais. L’environnement est important mais les gestes à poser doivent être à la portée de tous. »
Les récentes préoccupations concernant l’environnement ne sont-elles qu’un caprice du jour, une tendance « bon chic bon genre » comme l’était la question l’érosion de la couche d’ozone au début des années 90 et dont traitaient tous les médias? Une chose est certaine : les habitudes de vie semblent vouloir se modifier. Mais la plus essentielle de toutes, la consommation, reste la plus difficile à changer. Il nous faut acheter moins et avec plus de discernement. Pour Jean-François Comeau, la base des problèmes environnementaux réside dans la surconsommation de notre société. « Au Québec, nous sommes les champions du suremballage. » Comme les produits sont individuellement empaquetés pour être plus facilement et plus rapidement utilisés, cela ajoute au volume de papiers et de cartonnages à jeter. « Cela a ses conséquences. »
En effet, d’énormes contenants de poubelle sont remplis d’objets qui pourraient être réutilisés. Mais nous avons perdu ce souci. Nous achetons un produit parce qu’il est utile et facile à utiliser, peu importe son coût environnemental. Le défi est de taille et, selon Jean-François Comeau, chaque consommateur a son rôle à jouer pour renverser la tendance. « Il n’est pas faux de penser que l’impact de chaque individu ait peu d’importance. Mais pensez-y bien. Si, au Québec seulement, 7 millions d’individus décidaient de modifier une petite habitude, les choses changeraient. Ce n’est pas une seule voiture au Québec qui génère la pollution. C’est la combinaison de toutes les voitures en circulation. »
Traduction et adaptation en langue française : Jocelyne Archambault.
* N.D.L.R. Cégep est l'acronyme courant au Québec pour désigner les collèges publics (Collège d'enseignement général et professionnel).
Pour en savoir plus
Sites Internet
- Centre universitaire de formation en environnement, Université de Sherbrooke : www.usherbrooke.ca/environnement
- Groupe de Solutions pour un Développement Durable : http://www.sustainabilitysolutions.ca/francais.php
- Sierra Youth Coalition : sys-cjs.org/sustainable
- Sustainable Concordia : http://sustainable.concordia.ca

Cet article fait partie d'une série sur la diversité des valeurs et des croyances religieuses dans les milieux collégial et universitaire réalisée grâce à la contribution financière de :
* Mélissa Garcia Lamarca, membre de Sustainable Concordia en compagnie de l’environmentaliste David Suzuki. Photo : Marco Burelli.
** Jasmine Stuart, étudiante, membre de Sustainable Concordia et Jenn Davis, coordinatrice de Sustainable Concordia . Photo : Gunther Gamper.
*** Jenn Davis, coordinatrice de Sustainable Concordia et Jasmine Stuart, étudiante, membre de Sustainable Concordia. Photo : Gunther Gamper.