Éducation, religion et diversité : richesse ou source de conflits? Compte rendu du débat organisé par Tolérance®.ca au collège Vanier
par
Neil CaplanPh.D., London School of Economics and Political Science, membre de Tolerance.ca
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Neil Caplan est directeur du département des sciences humaines au collège Vanier
À l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale, le département des sciences humaines du collège Vanier a organisé, de concert avec Tolerance.ca®, un débat portant sur la diversité des valeurs et des croyances religieuses. Fariduddin Rifai, étudiant en arts, Maureen Jones, professeure de sciences humaines et Sevak Manjikian, professeur de sciences humaines/étude des religions et membre de Tolerance.ca® y participaient.
«La religion ne constitue pas une force négative»
Fariduddin Rifai est très actif au sein de l’Association des étudiants du collège Vanier (qui regroupe l’ensemble des étudiants) ainsi qu’à l’Association des étudiants musulmans du collège. Il a pris la parole affirmant qu’à son avis, la décision des autorités de l’institution de permettre la création d’associations étudiantes confessionnelles, s’est révélée bénéfique. Pour lui, la religion ne constitue pas une force négative qui embrigade le croyant dans ses dogmes. Au contraire, il voit la religion comme partie intégrante de la vie quotidienne qui, promouvant la piété, l’humilité et la compassion, mène vers la tolérance, non le contraire. Il est content d’étudier au collège Vanier où l’ouverture d’esprit qui y est pratiquée confère à l’institution un climat sain et stimulant. En permettant aux étudiants juifs et musulmans de créer leurs propres associations, le collège les laisse vivre leur foi en toute liberté. Cela contribue à la bonne entente sur le campus. «Je ne parle pas de tolérance totale, ce serait une utopie, a conclu Fariduddin, mais je crois que cette politique du collège a contribué à de meilleures relations entre les groupes. La tolérance est une entreprise à plus long terme. »
«Les religions ne sont ni statiques ni monolithiques»
En tant que professeure, Maureen Jones est fortement persuadée du fait qu’il est primordial d’inclure l’étude des religions dans le programme des sciences humaines au collégial. Cela fait d’ailleurs partie du mandat qu’a donné le ministère de l’Éducation du Québec aux CÉGEPS, a-t-elle tenu à préciser. Comprendre et respecter les manières dont les diverses religions et mouvements spirituels abordent le phénomène de la foi (peu importe que l’on soit athée ou d’une autre appartenance confessionnelle) s’inscrit naturellement dans le domaine des sciences humaines. N’ont-elles pas pour but de favoriser la connaissance des cultures et de contribuer à former une population plus informée? Évoquant le rôle historique des religions dans l’histoire du Québec et du Canada, la professeure Jones a rappelé les efforts qui ont été mis en œuvre pour se libérer des «superstitions religieuses» et de l’autoritarisme des Églises instituées. Par contre, et c’est un paradoxe, si la religion a souvent été symbole d’oppression, il n’en reste pas moins que plusieurs mouvements sociaux sont nés au sein de regroupements confessionnels, a-t-elle ajouté.
«L’apprentissage des religions dans les écoles publiques est nécessaire et même désirable. Les étudier dans le cadre de cours structurés constitue un paravent contre l’intolérance. J’entends par là non seulement l’intolérance des religions entre elles mais aussi l’intolérance envers le concept de la religion en général. Car même si on a trop souvent tendance à la sous-estimer, l’intolérance attribuable à une laïcité à outrance, est bel et bien réelle. Se familiariser avec les religions, c’est comprendre qu’elles ne sont ni statiques ni monolithiques. Il y a une foule de nuances à découvrir. Les religions peuvent être progressives aussi bien que régressives. »
Dépasser le vernis d’une tolérance de bonne conscience
Le Canada et le Québec se déclarent volontiers ouverts à l’égard des religions, des cultures et des minorités culturelles. Est-ce la réalité? Selon madame Jones, il faudrait pour cela connaître véritablement les autres cultures et religions. Comment pouvons-nous autrement nous comporter en citoyens informés et réellement tolérants? La langue de bois, expression d’une tolérance polie, l’horripile. Elle signifie «Je ne te saisis pas. Je ne te comprends pas mais je te tolère… parce que nous sommes de bonnes gens, parce que c’est ainsi que nous traitons la diversité culturelle au Canada. » C’est une façon de s’en sortir.
Même si cette tolérance de bonne conscience est moins radicale que le rejet pur et simple: «Je ne te tolère pas parce que tu es différent», il n’en reste pas moins qu’elle peut contribuer à masquer et engendrer une réelle intolérance. C’est ce qui nous guette si nous ne faisons pas l’effort de comprendre véritablement les gens qui n’ont pas les mêmes habitudes que nous.
Ce vernis de tolérance a pour effet de freiner les échanges plutôt que de les favoriser. C’est en quelque sorte une façon d’éviter les sujets qui nous permettraient d’en apprendre davantage sur nous et sur les autres. Nous nous empêchons souvent de poser des questions de peur de paraître ignorant ou de sembler juger l’autre. Ainsi chacun se claquemure dans son silence et sa bienséance. Comme résultat, nous partons sans avoir établi le contact qui nous aurait permis d’évoluer.
Pour la professeure Jones, l’enjeu majeur serait d’arriver à comprendre ceux qui diffèrent de nous. Cette recherche exige que nous dialoguions avec eux, que nous les interrogions afin de vérifier nos perceptions sur ce qu’ils sont réellement, leur religion, leur manière de se vêtir, etc. Nous devrions nous demander «Ce qu’il me dit est-il conforme à l’idée que je m’en faisais? » Plutôt que de cataloguer les gens selon des idées préconçues, faisons l’effort de parler avec eux pour développer nos facultés d’empathie. Bien sûr que nous ne serons pas d’emblée toujours d’accord avec eux. Sauf qu’ainsi nous arriverons à perdre peu à peu le réflexe de les marginaliser, de les reléguer dans l’ensemble anonyme des «autres». Nous dépasserons les limites du «vernis de tolérance». Dans cette optique, l’étude des religions au CÉGEP et à l’université peut participer de cette démarche de compréhension qui mène à la tolérance réelle.
Sortir les religions de leur placard
Sevak Manjikian a fait la dernière intervention. Dans le cadre de ses cours en sciences humaines et études des religions, il lui semble artificiel et trompeur de traiter la religion comme une entité isolée des autres. On doit reconnaître à la religion le rôle qu’elle joue dans la structuration de notre identité, nos valeurs et notre façon de voir le monde, cela au même titre que notre appartenance à une classe sociale, un sexe, ou un groupe culturel. Il privilégie dans son enseignement une approche qui tient compte des multiples fusions et interrelations entre les sociétés, les traditions culturelles et les croyances religieuses. Rien ne serait plus absurde que de prétendre que tous les gens d’une même religion pensent de la même manière. Dans les faits, plusieurs personnes appartenant à une même religion réagissent de façons fort différentes à des problèmes d’ordre moral, éthique et politique.
Tout comme madame Jones, le professeur Manjikian a analysé le malaise évident de notre système d’éducation lorsqu’il s’agit de la question des religions. Il l’attribue à une laïcité à fleur de peau et à un parti pris de rationalisme. Même si la religion continue d’influencer les individus dans leur manière de traiter les problèmes, même si elle a su résister aux défis de la modernité, elle demeure un phénomène mystérieux, difficile à évaluer. Nous ne pouvons voir Dieu, nous ne pouvons mesurer son pouvoir, nous ne pouvons non plus prouver scientifiquement son existence. Alors nous reléguons la religion à la sphère de la vie intérieure, une notion qu’il est délicat d’aborder à l’école. On a ainsi souvent recours à l’approche linéaire du «défilé», qui consiste à parler des religions en les sortant de leur placard à tour de rôle de manière isolée.
Une autre peur explique la réticence d’inscrire l’étude des religions aux programmes d’éducation. On craint en effet que cela ne mette en lumière les conflits interreligieux, ce qui précipiterait les frictions entre les tenants de diverses confessions. Les étudiants non croyants ou non pratiquants pourraient même en conclure que les appartenances religieuses engendrent des réactions négatives et chauvines.
Il est aussi courant de prétendre que les personnes modernes, rationnelles et efficaces n’ont pas besoin de religion. Le bonheur reposerait sur la capacité du consommateur d’effectuer les choix rationnels qui maximisent son bien-être. Dans cette optique, seuls les esprits irrationnels et superstitieux ressentiraient cette attirance vers la spiritualité. Si, comme l’énonçait Freud, la religion n’était qu’un vague baume pour pallier nos plus noires et profondes angoisses, alors la religion n’aurait plus sa place dans un monde idéal où nous aurions réussi à vaincre nos peurs.
«Développer des valeurs d’amour»
Selon le professeur Manjikian, notre milieu éducatif offre suffisamment d’occasions de dépasser cette opinion qu’il estime étroite et erronée. Tout comme on le fait pour les maths et les sciences, on peut créer et inclure dans le programme scolaire des activités propres à insuffler des notions de religion et de spiritualité qui, ultimement, contribueraient à développer des valeurs d’amour, d’esprit critique et de respect pour ce qui vit : les humains et la nature dans son ensemble. Il a ensuite cité plusieurs exemples illustrant que le respect de la religion et de la spiritualité concourrait à retrouver l’humain en son prochain. Nous ne devons pas tomber dans le panneau de penser que seuls le libéralisme et la pensée laïque offrent les outils pour comprendre le monde.
Mais le plus important, à son avis, est de rejeter l’assertion fausse et simpliste selon laquelle la religion ne fait qu’occasionner la violence et diviser les êtres. Dans notre monde si intimement interconnecté, nous aurons inévitablement à interagir avec des personnes de croyances différentes. «Autant apprendre sur les convictions religieuses des autres si nous voulons construire un dialogue respectueux. » Cela nous permettra de situer véritablement le rôle de la religion et du spirituel dans la façon qu’ont les êtres d’exprimer leur foi, d’organiser leur vie privée et communautaire, de percevoir le monde et de communiquer avec les autres.
Adaptation française de Jocelyne Archambault
Pour souligner la Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale (21 mars), Tolerance.ca® a organisé aussi un autre débat sur ce thème à la Maison des écrivains, à Montréal. Pour lire le compte rendu, cliquer ici.

Le débat Éducation, religion et diversité culturelle : richesse ou source de conflits? s’est tenu au CÉGEP Vanier de Montréal, le 16 mars 2006, dans le cadre de la série «La diversité des valeurs et des croyances religieuses dans les milieux collégial et universitaire», réalisée grâce à la contribution financière de
* Photo de Gunther Gamper. Le professeur Sevak Manjikian prenant la parole. À sa droite, Fariduddin Rifai, étudiant et participant au débat.
** Photo de Gunther Gamper. Dans l’ordre habituel : Fariduddin Rifai, étudiant, les professeurs Sevak Manjikian, Neil Caplan et Maureen Jones dans la cour du CÉGEP Vanier.
*** Photo de Gunther Gamper. La classe d’études religieuses du professeur Sevak Manjikian (à droite) au CÉGEP Vanier.