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L'État québécois doit-il financer les écoles juives ?

par , Psychiatre
Photo : Gunther Gamper

 La diversité religieuse dans nos sociétés est à la fois une richesse et une source de conflits.

Voir aussi René Lévesque et la communauté juive, cliquez ICI.

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S’il est couramment admis que chacun devrait avoir le droit de pratiquer sa religion, les problèmes apparaissent lorsque cette liberté confessionnelle entre en contradiction avec d’autres principes régissant le « vivre ensemble ». L’école est un lieu à risque où cette contradiction peut se révéler.

Je ne parlerai pas ici du problème des signes religieux ostentatoires (kirpan, kippa, voile) qui a déjà été discuté ici même dans une soirée organisée par le webzine Tolerance.ca®. Je voudrai plutôt réfléchir avec vous sur une question qui a défrayé la chronique au Québec il y a un peu plus d’un an : celui du financement public des écoles confessionnelles et en particulier (c’est l’exemple que je traiterai), celui des écoles juives.

Petit rappel des faits

En janvier 2005, le gouvernement du Québec annonçait qu’il allait rehausser la subvention qu’il accordait jusque là à certaines écoles juives, la faisant passer en gros de 60 à 90% des dépenses correspondant à l’éducation « laïque » (c’est-à-dire non religieuse) prodiguée dans ces écoles (les cours de religion proprement dits continuant de ne pas être subventionnés). Cette mesure aurait coûté 10 millions de dollars.

Cette décision a alimenté une tempête médiatique de plusieurs semaines et a créé la controverse à l’intérieur même du gouvernement. Des sondages nous apprenaient qu’une large majorité de la population s’opposait à ce financement accru. Confronté à une telle opposition, le gouvernement est revenu sur sa décision et ne renouvellera pas son projet d’accorder à ces écoles juives un statut d’écoles associées prévu par la loi et dont jouissent d’ailleurs depuis plusieurs années d’autres écoles anciennement privées.

Jusqu’à tout récemment, l’enseignement au Québec était confessionnel, organisé autour des commissions scolaires catholiques et protestantes. Il faut se souvenir qu’à leur arrivée au Québec, les enfants juifs n’étaient pas acceptés dans les écoles catholiques et que l’école protestante ne leur fut ouverte qu’avec certaines restrictions (négation des droits d’administrer ou de voter, par exemple).

Cette situation évolua lentement et encouragea la communauté juive à mettre sur pied son propre réseau d’écoles. Celui-ci s’est développé en marge des commissions scolaires catholiques et protestantes. Ce réseau s’est toujours défini comme « public » dans le sens suivant : tout enfant juif devait pouvoir s’inscrire dans ces écoles, quel que soit le revenu de ses parents, grâce à un système de subventions qui incombaient largement à la communauté juive dans son ensemble.

Dans le but d’encourager le rapprochement entre la communauté juive et la communauté francophone, le gouvernement de René Lévesque demanda la suspension de l’association avec la commission scolaire protestante majoritairement anglophone. Le premier ministre de l’époque souhaitait que l’association se fasse avec la commission scolaire catholique.

La communauté juive suspendit son association avec la commission protestante mais les négociations entre le réseau des écoles juives et la commission catholique n’aboutirent pas, au grand regret de la communauté juive. Le statut d’école associée (qui aurait permis dès cette époque une augmentation des subventions publiques) fut accordé à d’autres écoles (grecques et arméniennes) mais pas aux écoles juives qui durent ainsi conserver leur statut d’école privée.

École publique et respect des pratiques religieuses

Le droit fondamental de pratiquer sa religion peut impliquer, dans le cas particulier des juifs religieux, celui de recevoir leur éducation dans un établissement scolaire dont les règles de fonctionnement soient compatibles avec leurs rites religieux. Or le calendrier des jours fériés de l’école publique ne correspond pas à celui des fêtes religieuses juives qui est particulièrement contraignant. Le juif religieux ne peut pas travailler le samedi ni pendant la plupart des fêtes juives, assez nombreuses dans l’année. Il ne peut manger dans des cafétérias qui n’offrent pas une cuisine cachère.

Bref, l’école publique n’offre pas un espace adéquat pour permettre à un élève juif religieux de pratiquer sa religion. Malgré un effort de laïcisation de l’école publique au Québec, il est bien clair que le calendrier des jours fériés reste, pour une part non négligeable, un calendrier chrétien (ce qui est normal) et qu’il n’est pas adapté aux besoins particuliers des juifs religieux.

Il est toujours bénéfique, quand on parle de ces questions, de regarder ce qui se fait à l’étranger. Dans un article publié dans Le Devoir du 24 janvier 2005, au moment de ce qu’il est convenu d’appeler « L’Affaire des écoles juives », le journaliste Michel Venne se demandait s’il était approprié de maintenir, et si oui à quelles conditions, des écoles ségrégées sur le plan religieux, financées par l’État, peu importe dans quelle proportion.

Il rappelait que les États-Unis ont leurs « Charter Schools », qu’aux Pays-Bas et au Danemark, les écoles musulmanes financées partiellement ou entièrement par l’État sont nombreuses, que la Belgique et la Grande-Bretagne accordent à ces écoles un soutien financier limité et soumis à certaines conditions. Venne ajoutait qu’en France et en Allemagne, l’existence d’écoles ethno religieuses est possible mais que leur financement public ne l’était pas.

Eh bien! sur ce dernier point, le journaliste se trompe. Depuis la loi Debré du 31 décembre 1959, l’État français prend à sa charge, dans le cadre de divers « contrats », la rémunération des enseignants et d’autres dépenses de fonctionnement d’un grand nombre d’établissements scolaires privés, souvent de nature confessionnelle, catholique essentiellement mais aussi juive. Dans les années 70, de nouvelles lois ont élargi les avantages financiers au privé. En 1984, après l’arrivée de la gauche et de François Mitterrand au pouvoir, une tentative de créer un « grand service public unifié » a échoué devant la mobilisation massive du réseau catholique soutenu par une majorité de l’opinion publique.

Les écoles religieuses et leurs obligations

Ces écoles religieuses sous contrat doivent respecter un certain nombre d’obligations : application des programmes, contrôles pédagogiques et financiers notamment. Ainsi en France, pays qui n’a pas vraiment de leçon de laïcité à recevoir, 2 millions d’élèves catholiques (et protestants) et environ 30 000 élèves juifs fréquentent des écoles religieuses financées (au moins en partie) par l’État. Les musulmans entament à leur tour la scolarisation religieuse de leurs enfants.

Pour en revenir à la question des écoles juives, le principe d’un financement public des matières « laïques » (français, mathématiques, sciences, histoire, géographie, langues étrangères, etc.) enseignées par les écoles juives respectant un certain nombre de conditions (application des programmes, etc.) est considéré comme légitime par un certain nombre de pays dont la France. Pourquoi ne le serait-il pas au Québec? 



Causerie prononcée à la Maison des écrivains, à Montréal, le 23 mars 2006, à l’occasion du débat « Diversité religieuse : richesse ou source de conflits ? » organisé par Tolerance.ca® dans le cadre de la série sur La diversité des valeurs et des croyances religieuses dans les milieux collégial et universitaire, série réalisée grâce à la contribution financière de : 
 


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par Victor Teboul

Victor Teboul est écrivain et le directeur fondateur de Tolerance.ca ®, le magazine en ligne sur la Tolérance, fondé en 2002 afin de promouvoir un discours critique sur la tolérance et la diversité. 

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