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La personne et le personnage dans Sacré personnage

J’avoue que c’est la première fois que je tombe sur un texte qui inverse les rôles. Dans ce roman (1), le personnage déroge à la règle et impose la trame que l’auteur sait confectionner pour assigner au personnage le rôle qu’il devait jouer tout au long du récit. On dirait que c’est le personnage qui s’occupe du récit et que l’auteur devient lui-même personnage.

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Une deuxième remarque que je trouve intéressante dans ce texte, est celle relative à la personne et au personnage. Il se trouve que la notion de personnage est perçue dans son sens fictionnel. Autrement dit, le personnage ne reflète pas la réalité. Il la dépasse. Au sein de ce dépassement réside la créativité. L’être fictionnel qu’est le personnage traduit cette subjectivité qui se sert de la langue en vue de créer un monde dont la métaphore l’emporte sur le descriptif. Toutefois, la personne puise sa richesse notionnelle dans la philosophie. Qu’est-ce que la personne ? Les réponses à cette question convergent vers la réalité ou la vérité, selon les approches que l’on adopte pour élucider l’identité de la personne. Dire par exemple: la personne qui se définit par le corps est une référence à la réalité. Dire que la personne se distingue par le biais de la raison est une vérité.

Il me semble, peut être que je me trompe, en attribuant au personnage le nom de Khaïr en plus de son parcours , que Abdellah Baïda (2)rend hommage à un sacré personnage qu’est l’écrivain Mohammed Khaïr-Eddine.(3)

 Autant en profiter, Casa la blanche, la grande chasse l’impatience et incite la nuit à durer. Le papier est en plein essor . Tout se négocie à l’aide du billet inodore. (lgarmouma). Maintenant que la personne a réglé son statut de citoyen illégalement, elle doit profiter de la vie en attendant la rencontre du personnage. C’est écrit noir sur blanc que Khaïr sera convié au festival des plumes. Ce sera donc l’occasion de mettre fin à cette tension qui complexifie davantage la relation entre Personne et Personnage. Cette rencontre , aura-t-elle lieu ?

L’amertume de mon café et la douceur de Fatna, pardon, de Fanta que le narrateur sirote, exigent non seulement la contextualisation du parcours de ce personnage, mais aussi les mobiles de sa rébellion. Il ne sait pas que je l’ai croisé à Rabat. Je l’ai vu sortir du bistrot situé, jadis en face du centre culturel russe, lequel s’est métamorphosé, non par hasard, en MacDonald. C’était bien lui, les cheveux gris. Les traces d’un exilé qui avait profité de son long séjour à Paris se lisaient sur son visage. Il était gai, à l’aise dans son accent qui sentait la liberté et la poésie.

Écrire un écrivain, c’est être fidèle au Non d’une période durant laquelle l’engagement du côté des causes justes coûtait cher. Écrire un écrivain est aussi une insulte à la lâcheté.

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Un univers qui m’est étranger, moi qui suis habitué à contempler la montagne et scruter le vide. Ce monde est tellement peuplé que ma présence n’y signifie rien. Je me retrouve au milieu d’un vacarme qui m’assourdit. Tout le monde bouge dans tous les sens, sauf moi. Qu’est-ce que je viens faire ici ? J’aurais dû rester dans mon hameau, tranquille , au lieu de me frotter à des corps suspects qui me sont étrangers. Là où je vais, le portrait de Hassan II, me poursuit. « Il est avec vous, partout où vous êtes » S’agit-il d’un règlement de compte ? Lâche-moi, regarde ailleurs.

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Enfin, la rencontre a bien eu lieu. Le visage du personnage s’éclipse et cède la place à la personne. Désormais Khaïr se détache de son surnom et enfile son vrai nom, celui d’un écrivain dont la poésie et le récit racontent une histoire dépourvue de métaphore. Les blessures et les plaies d’une injustice se transforment en cicatrices indélébiles. De la colonisation à un régime autoritaire la situation s’empire davantage. Et le verbe demeure le seul moyen d’expression pour qu’un jour le rêve devienne réalité. C’est au personnage d’accompagner la personne dans sa douleur.  Après tout, l’humain l’emporte sur l’intéressement.  C’est lui seul qui assigne à la créativité son sens moral et éthique. Et puis, là la noblesse réside dans le fait de mettre en exergue la douleur d’autrui tout en mettant la souffrance de soi en deuxième plan. Le corps s’est éteint, mais l’idée reste éternelle. Quelle coïncidence! La mort coïncide avec la fête de l’indépendance, comme si le départ de Mohammed Khair-Eddine nous incitait à revisiter l’histoire. « Ainsi, me voilà nu simple ailleurs. » page 187 C’est avec cette citation que le corps cicatrisé annonce son départ. Désormais, le personnage doit prendre la relève. A lui d’écrire le rêve sur la béante plaie que l’injustice a causée.

Un bel hommage rendu à une plume assoiffée de liberté.

Je vous recommande ce roman.

Notes

1.Sacré personnage, Abdellah Baida, Editions MARSAM, 2024.

2. Abdellah Baïda est  écrivain marocain de langue française et professeur de l’enseignement supérieur  à l’université Mohamed V à Rabat, au Maroc.

Il est l’auteur de plusieurs ouvrages. Il a publié entre autres :

-La voix de Khaïr-Eddine,2007.

- Au fil des livres, 2011.

- Le dernier Salto,2014.

-Nom d’un chien, 2016.

-Testament d’un livre, 2018.

-Les djellabas vertes se suicident, 2020.

- L’irrésistible appel de Mozart, 2022.

 3. Mohammed Khaïr-Eddine est né à Tafraout, petite ville de la région Souss-Massa-Drâa (province de Tiznit), au sud du Maroc, à 180 km au sud d'Agadir, il est originaire de la tribu amazighe des Aït Ammeln1.

Très marqué par le séisme de 1960, il s'installe à Agadir en 1961 et y vit jusqu'à 1963. Il est chargé par la Sécurité sociale d'enquêter auprès de la population. Jeune écrivain, il fréquente ensuite le cercle des Amitiés littéraires et artistiques de Casablanca. En 1964, il fonde, avec Mostafa Nissaboury, le mouvement Poésie toute.

Il s'exile volontairement en France en 1965, et devient, pour subsister, ouvrier dans la banlieue parisienne. À partir de 1966, il publie dans la revue Encres vives et collabore en même temps à la revue Les Lettres nouvelles et à Présence africaine. En 1967, c'est la révélation de son roman Agadir, salué par le prix Enfants terribles, qu'avait fondé Jean Cocteau.

En 1979, il s'installe à nouveau au Maroc. Il meurt à Rabat le 18 novembre 1995, jour de la fête de l'Indépendance du Maroc. (Source Wikipédia).

15 janvier 2025

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La Chronique d'Abdelmajid Baroudi
par Abdelmajid BAROUDI

M. Baroudi est un collaborateur régulier de Tolerance.ca. Il réside au Maroc.

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