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"Si vous avez un vice, cachez-le ». Quelle insulte au corps qui dévoile vos contradictions ! La convention sociale que je n’ai pas signée m’oblige à acculturer mon corps et faire en sorte qu’un compromis se maintienne entre moi et cette société. Je ne suis pas une malédiction du destin qui va à l’encontre de vos projections. Je touche mes cheveux et me rends compte que je dois négocier davantage avec mon corps afin qu’il ne cède pas aux contraintes réduisant ma chair à vos désirs et vos frustrations. « La violence ne tue pas », mais elle traduit une continuité dont l’apprenant s’identifie au colonisé. Vous avez privé ce corps de sa liberté. Les cicatrices d’une endurance sont toujours là et témoignent de l’autre aspect de la domination.

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Qu’est-ce que tu fais là ? change de cadre, tu ne vas pas passer toute ta vie, encerclé par ces montagnes qui t’arrachent au vacarme. Changer d’air, ça te permettra de contempler le vrai visage de la diversité, me lance la narratrice accompagnée de son amie intime. Il ne faut pas que je rate cette opportunité. Une invitation que deux âmes ont signée ne se décline point. Vivre une autre aventure loin du silence qu’évoque la hauteur de la grisaille est une occasion à saisir, me dis-je.

Une immense place qui pullule de couleurs, de sons et d’odeurs que je n’ai jamais sentis auparavant. Toutes les langues s’étalent sur cet espace, hormis la mienne. Le mythe et le rite se sont donnés rendez-vous au rythme d’une errance qui a toujours envie de perdurer. Nous sommes à la place convoitée par toutes les curiosités du monde. Laisse de côté ta distanciation et rentre en transe avec ces chants qui charment la foule et invitent les stars à danser. Ici, sur ce croisement de couleurs que se fête la métaphore des prénoms, le V devient B et les rêveries d’une jeunesse s’harmonisent avec La fièvre du samedi soir.

 Monsieur Jacques, ne représente-t-il pas le revers de la carte postale ? Vous avez un beau pays. Dès que j’atterris sur votre sol, je me sens libéré de toutes les contraintes qu’impose le rituel de Paris. Vos monuments et vos sites historiques sont des sources d’inspiration. Ne parlons pas de votre cuisine et du verre de thé qui symbolise le summum de votre hospitalité. Et cerise sur le gâteau, vous vivez dans un pays stable. De qui te moques- tu ? Tu nous prends pour des bourricots ? Ça t’arrange qu’on baigne dans le contraste afin que tu profites de notre misère, laquelle nous pousse à piétiner notre dignité. Je sais que ce n’est pas la beauté de la cité qui t’attire en premier lieu, mais plutôt ses cicatrices.

Il faut que tu t’estimes heureuse. Tu es issue d’une classe moyenne qui t’a facilité l’accès aux institutions culturelles te permettant de t’ouvrir sur autrui. Tu as fréquenté le CCF depuis ton jeune âge. C’est là où tu as forgé ta deuxième langue et ton goût pour le théâtre et la musique. Tu as vécu l’amour avant même que tu te fasses une idée de ce que ce mot signifie. Très tôt, les villes mer et sans mer ont développé le sens de l’espace en toi. Quant à moi qui suis né dans la souffrance des reliefs et l’endurance qu’exige la montagne, mon enfance est une cicatrice que seule la marginalisation a le don de sculpter. Mon corps illustre cette souffrance et témoigne de mon allergie à la cité. Je n’ai vu la mer qu’à l’âge de vingt-trois ans.

C’est dans les fascicules de géographie que j’ai découvert que nous sommes entourés de deux mers.

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Excuse- moi Loula, mon jugement envers toi est injuste car il émane d’une subjectivité puérile. Je sais que tu vas sûrement comprendre que l’éthique de la lecture exige la distanciation, chose que je voudrais reporter jusqu’à la fin de ton périple et en sortir avec des conclusions qui enseignent sur la cause que tu voulais défendre tout au long de ta narration.  L’enfant en moi se sentait oublié au fin fond d’une indigence ne me laissant aucun choix. Il fallait donc emprunter le chemin de l’école afin de déchiffrer le C majuscule et comprendre par la suite que nos parcours peuvent se croiser un jour au milieu de l’écriture. Ce n’est que plus tard, grâce au cumul que j’ai saisi que le CFF peut être accessible pour tout le monde et ce n’est plus une question d’appartenance sociale. Au fait, c’était très difficile de m’arracher à mon hameau natal et de me débarrasser de ma langue maternelle. Mais l’ambition exige que je me passe de la violence paternelle conjuguée à celle des montagnes. Il m’a fallu m’ouvrir sur d’autres horizons dans lesquels je pourrais retrouver des volontés susceptibles de plaider pour le droit de vivre dans la dignité en mettant en exergue la négation qui dénonce ceux qui tablent sur la souffrance des autres, surtout les enfants.

Ce n’est qu’à la fin de ton récit que j’ai compris pourquoi le V s’est métamorphosé en B. 

Tu ne voulais pas rédiger un tract. Tu voulais te servir de ton imagination, de ton style et de ta langue pour écrire le monde et ses blessures.

Merci Loula.

Merci Leila.

Je vous recommande ce beau récit.

Ce que je sais de Monsieur Jacques. Leila Bahsain,                      Albin Michel, 2024.

Lien au site de l'éditeur : 

https://www.albin-michel.fr/ce-que-je-sais-de-monsieur-jacques-9782226489791

3 janvier 2024

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La Chronique d'Abdelmajid Baroudi
par Abdelmajid BAROUDI

M. Baroudi est un collaborateur régulier de Tolerance.ca. Il réside au Maroc.

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