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Les indépendantistes québécois du nouveau millénaire. Réflexions à partir de l’essai d’Éric Martin, Un pays en commun

par
Ph.D., Université de Montréal, Directeur, Tolerance.ca®

Professeur de philosophie au collège Édouard-Montpetit, situé sur la rive sud, en banlieue de Montréal, Éric Martin publie une analyse du mouvement indépendantiste afin de ne pas abandonner l’idée de la nation «aux mains des populismes de droite», nous dit-on en 4e de couverture de son ouvrage Un pays en commun. On comprendra que l’auteur défend l’idée d’une république québécoise, indépendante et «éco-socialiste», et qu’il est un sympathisant de Québec Solidaire.

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J’ai été frappé par plusieurs aspects de cet essai bien documenté. Cela me réjouit que de nombreux essayistes abordent avec enthousiasme la question nationale et qu’ils se soucient de réfuter l’association à la mode dans certains milieux entre le mouvement souverainiste et les idéologies de droite ou  d’extrême droite. Promouvoir l’identité québécoise ne constitue pas une «dérive identitaire», selon l’expression consacrée dans certains milieux bien-pensants, pas plus que de défendre l’identité de tout autre nation.  

Soucieux d’associer le combat indépendantiste à la lutte contre les inégalités, Martin explique merveilleusement bien dans son essai la filiation des penseurs souverainistes - d’Hubert Aquin à Fernand Dumont, en passant par le groupe de Parti Pris. On se rend compte aussi à la lecture du livre de Martin de la profondeur de leur pensée.

De plus, en pensant au Parti québécois, l’auteur déplore à juste titre que le clivage «Nous» et «Eux» ait dominé dans un certain discours nationaliste.

Cela dit, Éric Martin s’interroge trop brièvement à mon goût sur les démarches que l’on devrait entreprendre auprès des communautés culturelles pour les inciter à adhérer au projet souverainiste. Hormis ses propos sur la nécessité de reconnaître la place des Néo-québécois et d’entamer un dialogue avec les Québécois d’autres origines, Martin ne semble pas préoccupé par le fait que les Néo-québécois continuent de bouder la souveraineté : le sujet de l’immigration n’occupe que deux pages et demie sur les 265 pages du livre. 

Les actions entreprises dans le passé par les souverainistes pourraient pourtant servir à alimenter la pensée des indépendantistes sur ce sujet, comme je l’indiquerai plus loin dans cet article.

Un aspect qui pourrait paraître banal, mais que je me permets de signaler, c’est que les communautés culturelles pourraient s’identifier au projet indépendantiste et/ou socialiste, si on cessait de les considérer comme des «minorités». Ce terme est en effet répété à plusieurs reprises dans l’essai de Martin. Cette perception, fréquente chez les indépendantistes, est peut-être une des raisons pour lesquelles ils ne parviennent pas à susciter l'adhésion des groupes ethnoculturels au projet souverainiste. Si les nouvelles générations d’indépendantistes s’intéressaient davantage à cette question, elles se rendraient compte que les citoyens et les citoyennes d’une autre origine que francophone de souche ne se considèrent pas comme appartenant à des minorités, mais estiment qu’au contraire ce sont les Québécois qui forment une minorité. Je reconnais que cela puisse choquer, mais si l’on souhaite développer des stratégies pour faire avancer la cause de l’indépendance, on se doit aussi de se montrer sensible aux perceptions qui prévalent auprès des publics qu’on tente de convaincre, même si leurs attitudes peuvent nous contrarier. Considérer ceux et celles provenant de l’étranger ou établis chez nous depuis plusieurs générations comme appartenant à des groupes minoritaires, c’est oublier leur profond désir de surmonter leur condition pour se joindre à la majorité et, pour ceux déjà établis ici, c'est oublier les combats qu'ils ont livrés pour faire partie de la société ambiante, quelle soit québécoise ou canadienne. C’est aussi oublier leur apport souvent riche et historique au pays qui les a accueillis. 

Les «maladresses» du Parti québécois

Quant au Parti québécois, objet de critique par Martin, s’il y a eu, pour reprendre son expression, des «maladresses» (p. 219) de la part de cette formation, il faudrait les attribuer aux dirigeants péquistes des années 1995 – 2000. Car ce n’est pas la déclaration en 1995 d’un Jacques Parizeau qu’il faut compter parmi ces maladresses, mais bien plus la politique de la main tendue à certains adversaires influents de l’option souverainiste. Ces derniers, faut-il rappeler, ont exigé et obtenu en décembre 2000 la condamnation unanime d’Yves Michaud par les députés de l’Assemblée nationale pour ses propos jugés offensants à l’égard de la communauté juive et des communautés culturelles. Le Parti québécois formait alors la majorité en chambre et les déclarations malheureuses de Michaud contrariaient la politique de la bonne entente entreprise par les leaders péquistes de l’époque. Ce qui expliquait l’adoption de la résolution condamnant l’aspirant candidat à une investiture péquiste. On sait que de nombreux députés, dont un futur premier ministre, regretteront plus tard leur geste.

Plutôt que de courtiser des groupes de pression, lesquels dénonceront à la première occasion toute mesure provenant d’un gouvernement souverainiste, comme ce fut le cas lors du débat sur le projet de charte de la laïcité, les indépendantistes devraient s’efforcer d'approcher des individus, issus des milieux ethnoculturels, qui suscitent  l’admiration par leur esprit critique et leur leadership. Et non, comme le fait le Parti libéral du Québec, en sollicitant des candidats qui sont des représentants de ces milieux.   

Je trouve en outre étonnant, lorsqu’on critique le Parti Québécois, que l’on ne tienne pas compte des militants et des candidats issus justement de ces «minorités» qui ont défendu -et promu- la cause de l’indépendance dans leur propre milieu, comme auprès du grand public.

Dans un essai qui se propose de faire «un devoir de mémoire» auprès des étudiants (p. 37) - l’auteur, rappelons-le enseigne au collégial -, j’aurais souhaité que l’on tienne compte des actions entreprises sur le terrain. Je pense à ceux et à celles qui se sont battus pour la souveraineté et qui y ont consacré bénévolement leur temps, à titre, notamment, de candidats du Parti québécois, tels que Paul Unterberg, Nadia Assimopoulos ou Jean Alfred, premier Québécois d'origine haïtienne à être élu en 1976 dans Papineau (et par des Blancs !) sous la bannière du Parti québécois. 

De plus, si on s’applique à rappeler et à expliquer la réflexion des penseurs souverainistes, ne faudrait-il pas aussi s’interroger sur le résultat de leurs réflexions ? Celles-ci ont-elles eu des répercussions sur notre vie quotidienne? Ont-elles fait avancer la cause de l’indépendance ? Ainsi, tout en consacrant un chapitre à Fernand Dumont, n’aurait-il pas été utile de rappeler sa participation à l'élaboration de la Politique québécoise du développement culturel, mieux connu sous le nom de Livre blanc sur la culture, que le ministre d'État au développement culturel, Camille Laurin, avait déposé à l’Assemblée nationale, en mai 1978 ?

Pour ce qui touche à l’immigration, un chapitre entier du Livre blanc sur la culture se penchait sur la place des minorités au Québec et ce probablement pour la première fois dans l’histoire des partis politiques. Et, ce qui est frappant pour un mouvement nationaliste, on considérait tous ces groupes d’une autre origine que canadienne-française, comme faisant partie intégrante de la culture québécoise. Il y était aussi question bien entendu des Autochtones.

Le Livre blanc, et Fernand Dumont n’était certainement pas étranger à cette approche, proposait des actions concrètes pour que l’on connaisse mieux le Québec français dans les milieux ethnoculturels et réciproquement pour sensibiliser la population francophone aux besoins et à l’apport de ces groupes à la société québécoise.

L’école et surtout les médias étaient, de plus, au centre de cette stratégie de sensibilisation.

Il n’est donc pas inutile de rappeler ces actions du mouvement indépendantiste à l’intention des communautés culturelles, à plus forte raison lorsqu’on l'accuse de pratiquer une «dérive identitaire».

Gérald Godin

Éric Martin mentionne à quelques reprises - et avec raison - le travail pionnier en matière de relations interculturelles accompli par Gérald Godin. Bien que l’on connaisse l’œuvre poétique de Gérald Godin, comme aussi son travail à la tête des Éditions Parti Pris, il me semble que son action politique mériterait d’être mieux connue, et en particulier celle entreprise à la direction du ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles, dont il était le titulaire.

 J’ai eu le plaisir de le rencontrer à l'occasion d’un entretien qu’il m’avait accordé lorsque je venais de fonder la revue Jonathan.

Godin, on le sait, succédera à Jacques Couture à la tête du ministère de l’Immigration en novembre 1980 et il poursuivra l’œuvre de son prédécesseur qui était lui-même particulièrement sensible à la condition des immigrants et des réfugiés (notamment ceux provenant du Viêt Nam).

Lors du deuxième mandat du gouvernement Lévesque, qui sera réélu en avril 1981, Gérald Godin sera reconduit à la tête de ce ministère dont le changement de nom exprimera aussi une nouvelle orientation. Le ministère s’appellera en effet ministère des Communautés culturelles et de l’Immigration, ce qui démontre l’intérêt de son titulaire et de ses collaborateurs aux groupes ethnoculturels. Le nouveau nom répondait ainsi aux objectifs du Livre blanc que j’évoquais plus haut.

La même année, le ministre des Communautés et de l’Immigration rendra public son Plan d'action du gouvernement du Québec à l'intention des communautés culturelles, dont le titre imaginatif et combien rassembleur m’émeut toujours : «Autant de façons d’être Québécois».

Sait-on aussi que, sous l’égide de ce ministère et grâce à la sensibilité des ministres Jacques Couture et Gérald Godin, la télévision d’État québécoise - Radio-Québec devenue depuis Télé-Québec - engageait des dizaines de réalisateurs et de réalisatrices issu-e-s des communautés culturelles, dont Tahani Rached et Paul Tana, pour produire une centaine d'émissions qui traitaient - déjà ! - de l'histoire des groupes ethnoculturels et de leur vécu quotidien ? Cela ne s’était jamais vu et ne s’est pas reproduit depuis. La série s’intitulait «Planète» et elle fut diffusée à la fin des années 1970 et au début des années 1980.

Peut-être qu’un jour, lorsqu’on s’intéressera à ce qui s’est fait dans notre passé pour faire connaître le Québec français aux groupes ethnoculturels, trouvera-t-on le moyen de rendre accessible cette production historique afin de montrer ce que le gouvernement du Parti québécois d’alors avait réalisé de manière concrète en ce qui touche, ce qu’on appelle aujourd’hui, la «diversité».

Peut-être que ces actions pourraient aussi s’inscrire dans la mémoire indépendantiste, ce qui permettrait ainsi d’apprécier ceux et celles qui, dans le mouvement, ont accompli des actions concrètes de rapprochement et de reconnaissance mutuelle.

De telles réalisations ne reflètent-elles pas l’intérêt réel du mouvement indépendantiste à l’endroit des groupes ethnoculturels et ne méritent-elles pas que les nouvelles générations de souverainistes s’en souviennent et s’en inspirent ?

Éric Martin, Un pays en commun, Écosociété, 2017.

Victor Teboul, directeur de Tolerance.ca, a enseigné l’histoire des communautés culturelles à l’Université du Québec à Montréal et a été conseiller en communications au ministère de l’Immigration et des Communauté culturelles. Dernier ouvrage paru : Les Juifs du Québec : In Canada We Trust. Réflexion sur l’identité québécoise. Site Internet : www.victorteboul.com

26 mars 2018



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Victor Teboul est écrivain et le directeur fondateur de Tolerance.ca ®, le magazine en ligne sur la Tolérance, fondé en 2002 afin de promouvoir un discours critique sur la tolérance et la diversité. 

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