Voici un texte qui se réfère aux contes hagiographiques pour interpréter des faits historiques dont la femme était non seulement l’objet d’inégalité, mais aussi un symbole de rébellion contre la complicité de la terre avec le céleste. S’agit-il d’un roman ou d’un essai ? Il me semble que le plus important est de réfléchir sur les questions que cette psychanalyste a posées plutôt que de cogiter sur le genre de cet écrit.
C’est en réfléchissant sur ces questions que le sens de l’histoire s’impose en tant que remise en question de tout ce que le mouvement féministe a accumulé. D’autant plus que la problématisation du statut de la femme tel qu’il était perçu, voire vécu au moment où le ciel imposait ses lois est à mon humble avis une occasion pour mesurer les avancées de ce mouvement vers l’égalité.
D’où la pertinence des questionnements que Houria Abdelouahed formule dans son ouvrage, lesquels questionnements articulent un contexte dont le pouvoir divin s’impose comme régulateur du plaisir sexuel avec un autre, contexte que la modernité a engendré et dont la subjectivation et la liberté de la créativité ont mis ce sujet islamique face à ces contrastes. Seulement voilà, cette articulation n’est pas automatique, dans la mesure où la mise en application ou la concrétisation d’une égalité femme homme dans les pays où l’islam gère la cité n’est pas encore tout à fait respectée pour des raisons je dirais plutôt idéologiques que politiques.
C’est pour cela que cet ouvrage de par sa consistance «épistémologique en tant que travail de destruction d’un discours et en tant que préalable à tout traitement possible d’un héritage foncièrement patriarcal »(2), dévoile un non-dit qui risque de confronter la critique à l’imaginaire social. C’est l’enjeu de ceux qui se cachent derrière le silence, de crainte d’une remise en cause susceptible de créer la discorde en se distanciant de pratiques que la modernité, au sens humaniste, condamne. C’est justement ce discours nourri de manque de mise en question, pour ne pas dire d’ignorance, qui entrave cette marche d’égalité et cautionne des pratiques appartenant à un temps révolu sous prétexte que la Charia est ainsi faite.
Les femmes du prophète, transgresse le licence et en même temps donne la parole à ce silence que les prêcheurs de l’ignorance voudraient endurer jusqu’à ce que Dieu hérite la terre avec tout ce qu’y vive.
Il fallait s’attaquer au déséquilibre irrationnel qui voudrait éviter la discorde en se réfugiant dans le céleste dont Gabriel se présente comme porte-parole afin de satisfaire une sexualité nourrie du charnel et de la mort. Le sexe a l’odeur de la mort. (3) Dans le monde du Harem il n’y a pas d’altérité puisque le corps est soumis, donc démuni de corporéité. Tout passe par le toucher. C’est la main qui porte le contraste d’une sexualité où s’entrelacent mort et désir d’aimer ce lui qui a tué le père. « Pourquoi n’êtes-vous pas mort comme mon père et son frère ? » Hors de lui, Muhammad s’écrie : « Sawda ! Tu oses exciter les infidèles contre Dieu et contre son prophète ? » Furieux, il l’a répudia. (4). Au toucher de s’exécuter dans l’exercice du plaisir sexuel, mais à condition qu’il tue. Du coup, l’amour ne peut vivre que sur les cadavres parce que le toucher décapite et annonce la mort d’une altérité que le texte incite à combattre pour que la légalisation de l’acte sexuel passe et s’effectue dans les normes dictées par ce lui qui valide l’inconcevable. Déjà, le mot : captivée illustre non seulement une chosification du corps féminin arraché au lien familial et à son altérité, mais également les prémisses d’une féminité réduite à un corps dont la chair s’identifiera au cadavre.
Les femmes du prophète est un cri contre l’opacité dans laquelle l’idéologie intégriste voudrait introduire la plèbe. De plus, cet ouvrage relit un contexte qui voulait faire régner la passivité. Mais il enseigne sur la ténacité de la femme à l’égalité, malgré les discours qui esquivent les traitements infligés à la femme au nom de la religion.
Il faut lire Les femmes du prophète de Houria Abdelouahe
Notes
(1) Houria Abdelouahed, Les femmes du prophète, SEUIL 2016.
(2) Note de lecture rédigée par le psychanalyste Abdelmajid Safouane sur Les femmes du prophète de Houria Abdelouahed
(3) Les femmes du prophète, p. 218.
(4) Ibid. p. 204.
2 janvier 2018