Le prétexte qu’avance le pouvoir pour stopper la marche du mouvement 20 février (1) et réprimer son élan ne doit pas passer inaperçu.
Le fait d’accuser ce mouvement d’être récupéré par des islamistes ou de gauche radicale n’est à mon avis qu’une manière de légaliser le recours à la force contre non seulement le mouvement en marche mais aussi contre toute action sociale et citoyenne. S’agit t-il d’un réveil tardif de la part du pouvoir ?
En vérité la réaction violente des forces de l’ordre n’est que la traduction d’un manque de volonté d’apporter des réponses susceptibles de contribuer au vrai changement.
Dès le début des actions que le mouvement 20 février avait menées, tout le monde a compris qu’il s’agit d’une réinvention du politique. Ce mouvement s’est identifié dans la distinction par rapport aux partis et organisations politiques. Son autonomie s’est caractérisée par le fait qu’il aspire à un État où les individus se sentiraient citoyens et donc responsables. Seul un régime politique démocratique est capable de mettre en œuvre cette aspiration. Nous voulons une monarchie parlementaire. Ce vœux, me semble-t-il, a mis ce mouvement pacifique dans une position, en termes de modalités et finalité, de distanciation par rapport à d’autres entités qui visent d’autres stratégies. Et c’est grâce à cette distinction qu’il a charmé la sympathie des forces vives. Il s’en suit que le pouvoir s’est fait une représentation qu’il s’agit d’une montée d’une force qui esquive l’exception grâce à son implication dans un mouvement qui réécrit son histoire propre à son style et qui échappe à tout genre de récupération et par le pouvoir et par d’autres entités.
Je ne pense pas qu’il s’agit d’un éveil tardif de la part du pouvoir concernant la soit disant récupération par d’autres forces politiques car le fait que le mouvement, de puis le début de ses actions, a bénéficié de l’appui des personnalités dont les tendances divergent, constitue une donne que ce même pouvoir ne pouvait pas ignorer.
S’agissant de la récupération, il faut souligner de prime à bord que sa perception diverge selon la connotation qu’on lui assigne. Le bannissement ou la dynamique de l’amalgame dépendent de chaque positionnement par rapport à ce mouvement. Du coup, la notion de la récupération peut faire l’objet de projection ou de bonne volonté dont l’autonomie doit prévaloir. Entre les deux conceptions de la récupération s’enrichit l’amalgame qui table sur l’incapacité de l’imaginaire social à discriminer et c’est sur ce terrain que le pouvoir adore jouer.
En dehors de l’incapacité du pouvoir à récupérer le mouvement et sa misérable prise de conscience pour justifier l’injustifiable à savoir le recours à la violence, il lui faut donc alimenter l’amalgame et sombrer dans la projection en vue de l’essoufflement de la contestation. On voit bien que le pouvoir ne fait pas l’exception en adoptant dans son discours les mêmes propos que d’autres régimes sud méditerranéens ont essayés. Finalement, la force du changement a montré que tout simplement, les gens désirent vivre décemment.
Le pouvoir comme l’indique son nom est capable de ridiculiser la raison et pérenniser la phobie à l’encontre du Droit. Chaque expression brutale de sa part, justifiée par la déraison mettrait fin à une hibernation de la phobie et consolerait l’indolence susceptible de casser l’élan et ouvrir la porte vers le sentiment de ne pas se sentir responsable. C’est à mon avis l’enjeu sur lequel parie le pouvoir, en essayant en revanche, de prétendre qu’il est entrain de réformer aux yeux du monde extérieur lequel a finalement compris que la démocratisation est irréversible.
Par ailleurs, le principe de soutenir le mouvement en marche de par la légitimité de ses exigences, assigne une crédibilité aux craintes d’une certaine récupération du mouvement. L’identification au projet du 20 février qui a davantage besoin du soutien des forces démocratiques n’empêche pas de se questionner sur son devenir et se soucier de son autonomie.
Notes
(1)Presque tous les politologues se sont mis d’accord sur le fait que le soulèvement sud méditerranéen a échappé au déterminisme. Personne ne s’attendait à une telle rébellion. Cette dynamique a poussé les occidentaux notamment les USA à revoir « les normes » qui géraient leurs partenariats avec ces régimes antidémocratiques. La nature démocratique et pacifique du mouvement sud méditerranéen a mis fin à la fable de lutte contre le terrorisme. L’imprévisible sud méditerranéen a forcé l’occident à revaloriser la notion de démocratie dans sa portée globale, voire mondialisée.
C’est donc dans ce contexte que le mouvement 20 février est né Son émergence a mis fin à l’exception marocaine, contrairement aux spéculations de la spécificité. Il s’est imposé comme force de changement que les partis politiques devraient effectuer pour dynamiser la vie politique et développer la démocratie. Ce mouvement mérite d’être pensé et repensé.
23 août 2011