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Justice Rutikara, cinéaste et comédien : «Le sport, un moyen de se sentir connecté aux autres et à son environnement»

(French version only)
By
Ph.D., Université de Montréal, Editor, Tolerance.ca®

M. Justice Rutikara est un jeune réalisateur québécois originaire du Rwanda. Arrivé au Québec à l’âge de trois ans avec sa famille, il a vécu dans le quadrilatère des appartements Saint-Pie-X, le plus important complexe de HLM de la ville de Québec. Il est demeuré très attaché à ce milieu, au point de lui consacrer le documentaire, La Cité des Autres. Ayant fui leurs pays en guerre, les jeunes participants du documentaire nous offrent un émouvant témoignage de leur vie dans ce secteur où ils ont grandi. Bien que la plupart soient originaires d’Afrique, des jeunes provenant d’autres régions du monde, comme de Colombie et de Bosnie, participent aussi au film.

La Cité des Autres est un hymne à l’amour, à l’amour entre jeunes de toutes origines. En les écoutant, on ressent de l’affection pour ces adolescents et ces adolescentes qui éprouvent du plaisir à vivre ensemble et parviennent à se réaliser grâce notamment au basketball, qui y joue un rôle fondamental, mais surtout grâce à l’entraide et à l’attachement à leur milieu.

Aussi, une révélation pour quiconque vit à Montréal, tous les adolescents, qui offrent leur témoignage dans La Cité des Autres, s’expriment en français et ont l’accent québécois !

Nous avons évoqué plusieurs sujets avec Justice Rutikara dont le rapport à l’autre que le sport contribue à développer, le rôle des activités sportives dans la construction de l’identité et tant d'autres questions qui intéressent le jeune réalisateur... Entretien avec un cinéaste au coeur de la diversité.

Victor Teboul : M. Rutikara, votre documentaire La Cité des Autres donne la parole à des jeunes qui ont fui la guerre et qui se sont établis avec leurs familles dans la région de la ville de Québec, au complexe Saint-Pie-X. Votre film montre comment l’entraide et le sport permettent aux jeunes de renforcer leur identité et de se réaliser en tant qu’individus. Pourquoi, d’après vous, le sport - et le basketball en particulier - joue-t-il un rôle si important auprès des jeunes qui témoignent dans votre film ?

Le sport, une forme de transmission des apprentissages

Justice Rutikara : Le sport représente une forme d'activité ou d'expression dans laquelle les jeunes peuvent être encadrés afin d'obtenir des capacités qui leur permettent de s'émanciper individuellement au sein d'une collectivité. Autrement dit, c'est une forme de transmission d'apprentissages ou d'expériences d'une personne à une autre ou d'une génération à une autre.

Pour des jeunes qui ont perdu leurs repères socioculturels à cause de leurs épreuves d'immigration et d'adaptation socio-culturelle, ces pratiques sont essentielles pour leur développement personnel. C'est donc un moyen de se sentir connecté aux autres et à son environnement social.

Dans La Cité des Autres, chacun des protagonistes a d'ailleurs sa propre forme d'activité ou d'expression telle que le tressage de cheveux, la création d'un évènement festif, le basketball, le rap ou encore le cinéma !

En soi, La Cité des Autres, met en valeur la capacité d’agir des jeunes et leur capacité d’influencer les événements et les êtres. Ces individus ont été inspirés plus jeunes par différentes formes de pratiques socio-culturelles ou artistiques et ils peuvent ensuite en créer pour d'autres. Ainsi, dans ce documentaire, on observe l'importance de plusieurs formes d'arts chez les jeunes de la contemplation de l'architecture (des bâtiments du complexe St-Pie-X) à celle de la sculpture des tresses, en passant par celles des arts visuels (photographie/vidéos), de la musique, de la littérature et des arts de la scène (les sports comme le basketball étant, selon moi, de la performance artistique).

V.T. : Le sport permet aux jeunes de réussir même dans leurs études. Mais est-ce que l’accent mis sur le sport, ne risque-t-il pas d’être un obstacle aux activités intellectuelles, comme à la lecture par exemple, lorsqu’il s’agit de poursuivre des études au niveau postsecondaire ?

J.T. : À mon avis, cela dépend beaucoup des intérêts des individus. Je connais plusieurs jeunes du milieu qui préfèrent ces activités intellectuelles aux activités sportives, mais aussi d'autres qui allient ces deux types d'activités. De plus, je ne pense pas que le sport soit un obstacle aux activités intellectuelles chez les jeunes, car la plupart d'entre eux pratiquent ces sports au cours de leur cheminement scolaire qui les obligent à performer dans leurs activités intellectuelles.

Cette obligation les fait souvent découvrir d'autres passions ou intérêts dits intellectuels. Toutefois, le sport peut en effet devenir une pratique addictive comme n'importe quelle autre pratique, et ainsi contraindre ces adhérents à privilégier les activités sportives au-delà d'autres formes de passions ou d'intérêts. En réalité, plusieurs jeunes croient être en mesure de vivre que de sport, et ce, dès un bas âge. Néanmoins, ces jeunes ne sont généralement pas majoritaires et se confrontent un jour ou l'autre à la nécessité de diversifier leurs activités, leurs intérêts et inévitablement leurs opportunités. 

V.T. : Le basketball étant, dans votre film, une activité surtout prisée par les garçons, quelles sont les activités qui permettent aux jeunes filles de se réaliser ?

J.T. : À vrai dire, les jeunes filles pratiquent aussi des sports comme le basketball, le volleyball et le soccer. Elles pratiquent aussi d'autres activités comme le tressage, la danse et plusieurs autres activités offertes par le centre communautaire de l'Évasion St-Pie X. Néanmoins, elles semblent souvent moins nombreuses dans ces acticités ou les parcs de St-Pie-X, dû probablement à leur nombre plus restreint que les garçons (du moins à mon époque) ou car elles sont souvent plus contraintes à aider aux tâches ménagères et familiales à la maison. Les parents semblent aussi plus protecteurs et sévères envers elles, donc celles-ci sont souvent moins visibles que les garçons qui prennent plus de places dans les différents lieux du complexe. 

V.T. : Après avoir écouté les accusations de racisme visant la société québécoise par des jeunes leaders noirs, on est frappé que les adolescents, qui témoignent dans votre film, ne ressentent aucune animosité envers les Québécois. Comment expliquez-vous cette absence d’hostilité envers la société des Blancs ?

«La plupart des jeunes préfèrent accorder davantage de place à la réconciliation, à la paix, et à la diversité humaine» 

J.T. : Les jeunes de St-Pie-X côtoient intimement beaucoup de Québécois dans le secteur de St-Pie-X et à l'extérieur, et apprennent à nuancer le phénomène du racisme. D'ailleurs, par leur expérience de réfugiés de guerre, ils sont souvent au courant que le racisme est une forme de haine et de division qui se retrouvent chez toutes les formes de sociétés et d'individus. Pour cette raison, je pense que la plupart préfère accorder moins d'importance à cette forme d'animosité en privilégiant ou en accordant davantage de place à la réconciliation et à la paix, aux différences et à la diversité humaine. 

V.T. : Peut-on, d’après vous, parler aujourd’hui des Noirs et des minorités, sans aborder, comme vous le faites, le racisme et l’exclusion ?

J.T. : Je pense qu'il est possible d'éviter de parler de ces enjeux à travers certains angles de récits, mais ces réalités sont encore très présentes dans certains milieux et dans l'imaginaire collectif de nos sociétés actuelles.

V.T. : Un des participants déclare dans le documentaire que le milieu dans lequel il vit - les appartements Saint-Pie-X - n’est pas un ghetto, parce qu’il est constitué de jeunes de toutes origines. Cela est vrai dans la mesure où la diversité fait partie de la vie de tous ces jeunes. Mais que connaissent-ils de la société québécoise et de son histoire ?

J.T. : Tous les jeunes - dont celui qui se réfère à St-Pie-X comme un milieu non ghettoïsé - vont nécessairement dans des écoles québécoises/canadiennes et apprennent inévitablement à connaître la société québécoise et son histoire. Ces jeunes grandissent, expérimentent et participent aussi à une diversité d'activités au sein de la société qui développe pleinement leur identité québécoise.

V.T. : Quels sont les aspects de la société québécoise qui méritent, d’après vous, d’être mieux connus par les jeunes issus de diversité ?

J.T. : La complexité et la diversité souvent négligées de l'histoire québécoise, soit celles qui impliquent plusieurs peuples qui ont contribué au fondement de la société qu'on connait aujourd'hui.

V.T. : Quel est le message le plus important que vous souhaitez que le grand public retienne de votre film ?

J.T. : Que des milieux communautaires comme St-Pie-X, avec ses jeunes personnes engagées, actives et inspirantes, existent et contribuent à la beauté de la société québécoise.

V.T. :  Quels projets souhaitez-vous entreprendre prochainement ?

J.T. : Actuellement, je développe comme cinéaste une diversité de projets de films et de podcast/balados tout en participant à des films en tant que comédien. Comme cinéaste, je complète la scénarisation d'un court-métrage d'animation intitulé "Au 7e jour" dans lequel mes parents relatent les 7 jours d'exode que mes parents et moi avons vécu durant le génocide et la guerre au Rwanda de 1994.

Aussi, je travaille sur un triptyque de fiction qui suit trois personnages au récit et au médium unique (réalité virtuelle, podcast, et film interactif), mais dont les parcours sont entremêlés. Enfin, je débute la production d'un balado documentaire avec Radio-Canada - "Limoilou hood" - qui sera disponible sur leur plateforme numérique "Ohdio" dès la fin de cette année ou le début de l'an prochain.

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Note

Les images ci-dessus sont tirées du film La Cité des Autres, à l'exception de la photo de M. Rutikara.

La Cité des Autres peut être visionné sur le réseau Tou.tv https://ici.tou.tv/la-cite-des-autres

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Entretien réalisé par Victor Teboul pour Tolerance.ca® Inc.

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9 juillet 2021

 



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By Victor Teboul

Victor Teboul is a writer and the publisher of Tolerance.ca ®, The Tolerance Webzine, which he founded in 2002 to promote a critical discourse on tolerance and diversity. He is the author of several books and numerous articles.

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