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La mort et le politique dans «Le Muet» de Hamza Marzak

(French version only)

Et la vie continue. Cette expression qui revient dans des passages de Le Muet m’incite à réfléchir sur la mort. Du coup, l’émotion que provoque la perte d’un proche entrave l’oubli et nous oblige à se plier devant l’idée selon laquelle l’éternité revêt un sens existentiel , dans la mesure où la continuité l’emporte sur la mort car la vie continue. C’est justement cette idée relative à la continuité de la vie qui m’a poussé à reprendre la lecture. En lisant ce récit, je suis tombé à maintes reprises sur cette expression qui, à mon avis, représente en quelque sorte une défense du droit de vivre que la mort veut coûte que coûte nous arracher.

Il se trouve que la notion de continuité de la vie dans Le Muet élimine le néant que la mort inflige à l’Homme en accordant à celui qui se présente volontaire pour le djihad une place à l’au-delà plus privilégiée que ce lui qui voit dans la continuité de la vie un processus naturel déterminant la corrélation entre la mort et la vie. En ce sens, le djihadiste n’est en fin de compte que le produit d’une fabrication de la mort dont la promesse de continuité est totalement différente de la vie puisqu’elle table sur un lendemain que seul l’imaginaire peut envisager comme une vérité propre à celui qui croit en un certain salut animé par une conscience grégaire.

Le Muet n’est pas seulement une prise de position par rapport aux actes qui ne sont pas guidés par la raison et qui prônent la violence au lieu d’épouser la différence. Il est également un porte-parole de celles et ceux qui évitent d’être l’éco d’une autre voix, pour reprendre l’auteur. La question qui se pose est la suivante : Y a-t-il au Maroc des institutions susceptibles de porter cette raison et bien gérer la différence qu’anime la liberté ? Avant de revenir sur l’une des institutions sur laquelle ce roman concentre son récit, il est à mes yeux important de souligner l’articulation entre la vérité et l’institution. Michel Foucault a très bien développé cette articulation. La vérité selon lui réside dans les institutions scientifiques de par le pouvoir du savoir qu’elles exercent sur toutes les autres institutions. Il va sans dire que la vérité scientifique est déterminante et influente sur les institutions économiques et politiques. D’autant plus que sa neutralité anime son pouvoir grâce à sa rigueur.

Mais qu’en est-il de la vérité religieuse ?

C’est tout à fait normal qu’elle soit exclue de ce schéma, pour la simple raison, c’est que le monde occidental a, depuis belle lurette, tranché sur cette articulation, en interdisant au religieux de s’immiscer dans le domaine de la politique. Qui plus est, la science ne peut plus céder sur ce qui est de la relativité de la vérité contrairement au dogme qui cautionne l'absolu. Le Muet nous renvoie au classique, au sein duquel l’entêtement du politico-religieux endigue la séparation et nuit à la relativité de la vérité.

Toutefois, le cheikh de la zaouia monopolise le pouvoir religieux et écarte la science. Benmoh, qui incarne ce pouvoir religieux de la zaouia, récolte les fruits d’une ignorance pour que le politique fasse  tout son possible afin de perdurer cette dominance nourrie de complaisance. S’agit-il d’un lieu de culte ou d’arnaque ? Dans ce récit se croisent l’histoire et le contexte, la complicité de la confrérie et le dévoilement du vrai visage du théologico-politique ?

Sinon, comment expliquer cet amalgame dans lequel le cheikh voulait introduire la foule en jouant sur le religieux pour des fins politiques ?

Ce roman nous renvoie à ce que nous a appris l’histoire de la connivence de la confrérie avec les forces coloniales au détriment de la libération. La ruse de l’histoire remonte un nouveau scénario et fait apparaître une nouvelle configuration qui démasque les dessous, je dirais, pragmatiques d’un visage qui se veut saint mais en réalité sa pratique ne déroge pas des normes dont le but est de s’enrichir davantage, quitte à emprunter le chemin du charlatanisme, tout en jouant sur la force du texte qui résonne facilement dans l’imaginaire social. Benmoh s’appuyant sur le stratège qui n’est en vérité qu’un repenti au fond djihadiste est la marque de fabrique d’un mensonge qui a perdu la confiance de la plèbe.

Ce qui m’a fasciné, entre autres dans ce texte, c’est cette force narrative traduite en écrit, incarnée par l’un des personnages clefs de Le Muet. Bien sûr qu’on va facilement constater que le muet n’ose pas communiquer oralement. Mais cette force de communiquer la retrouve dans l'écrit et c’est l’auteur qui la lui fournit. Autrement dit, la narration passe au deuxième plan par rapport à l’écrit. L’effort est double : imaginer et écrire ce que devait écrire le personnage puisque l’auteur lui a choisi un rôle de muet qui ne dit pas n’importe quoi. Son discours rédigé impacte l'auditeur et le séduit de par sa tonalité charmeuse qu’impose le contexte. Ce fardeau créatif qui caractérise cette double tâche d'écriture pour le personnage et le lecteur, l’auteur l'assume parfaitement. C’est ce qui fait à mon avis la force de ce roman.

Outre la problématique du djihadisme traitée dans ce roman, il me semble aussi que Hamza Marzak , tout comme d'autres écrivaines et écrivains marocains, s'exprimant en langue française, a réussi à nous entraîner dans un monde qui cultive la diversité culturelle et naturelle du Maroc. La vallée et ses habitants témoignent de cette diversité où cohabitent la fraîcheur de la nuit et la danse des feuilles de palmiers emportées par la brise provenant de la générosité des collines.

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NDLR : Né en 1963 et d’origine marocaine, l’ingénieur Hamza Marzak est Maitre Praticien en programmation neurolinguistique (PNL). Il a animé plusieurs conférences sur le développement personnel et le pouvoir créatif de l’individu. Habité par le questionnement de la culture marocaine et arabo-musulmane en général, il étudie son impact sur la façon de penser de l’individu et ses conséquences. Ce n’est qu’à l’âge de cinquante ans qu’il choisit de se consacrer à l’écriture de son premier roman : Le Muet.

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Hamza Marzak, Le Muet, 7e Ciel Editions, 2020.

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5 mars 2021

 



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