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Diffusée à Télé-Québec, que dit Dounia sur le Québec ?

(French version only)
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Ph.D., Université de Montréal, Editor, Tolerance.ca®

Diffusée du 12 décembre 2020 au 3 janvier 2021 à Télé-Québec, Dounia est une série animée de six émissions qui s’adresse à des enfants de 6 à 8 ans. Elle raconte l’histoire de Dounia, une enfant syrienne qui est forcée de quitter Alep avec ses grands-parents à cause de la guerre. Ils se résignent à traverser la mer et l’Europe en quête d’un pays d’accueil. Le voyage, comme on peut se l’imaginer, est semé d’embûches : tempête en mer, soldats méchants et menaçants qui empêchent les migrants de traverser les frontières, etc. Mais Dounia et ses grands-parents finissent par arriver au Québec. Et on se réjouit de ce « happy end ». Mais que dit-on sur le Québec dans cette série qui s’adresse aux enfants ?

Alors que nous nous inquiétons du déclin de la langue française à Montréal, voici que des artistes originaires d’autres pays et s’exprimant dans un français impeccable, dont on pourrait même envier la clarté d’élocution, produisent des œuvres dans notre langue. Mais ne devrait-on pas s’intéresser aussi à la place qu’occupe le Québec dans leurs créations, lesquelles sont lues et louangées, et, comme dans cette série, diffusées sur nos ondes en s’adressant en plus à des jeunes qui n’ont ni une connaissance du sujet abordé ni un sens critique encore suffisamment développé ?

Je suis d’ailleurs étonné que nos critiques n’osent pas demander à nos artistes, à fortiori lorsqu’ils sont originaires de l’étranger, quelle place occupe le Québec dans leurs oeuvres. Serait-ce une question indélicate en ces temps où domine la sempiternelle question du «racisme systémique« ? J’ai posé d’ailleurs la question plusieurs fois à la coréalisatrice de Dounia, madame Marya Zarif, qui n’a pas su me répondre. Et je la comprends, puisque la question est rarement posée. Serait-ce parce qu’en tant que Québécois, nous craignons de heurter la sensibilité d’une personne qui nous fait honneur en produisant une œuvre dans notre langue ? (On trouvera plus bas les messages échangés avec madame Zarif sur nos comptes Facebook respectifs.)

De plus, reconnaissons que la sensibilité du sujet et son traitement ne se prêtent pas à un  quelconque examen. Comment pourrait-on, en effet, poser un regard le moindrement critique, lorsque le personnage principal est un enfant, victime de la guerre que des adultes se livrent, qui cherche désespérément, en compagnie de ses grands-parents, un nouveau pays qui les accueillera ?

La série animée a donc reçu, comme il se doit, une large couverture dans nos médias.

L’immuable, mais très sensible René Homier-Roy a même reçu madame Zarif, la coréalisatrice, à son émission Culture Club au cours de laquelle notre impérissable animateur de Radio-Canada n’a pas tari d’éloges à l’endroit de son invitée. Il serait juste d'ajouter qu'il lui a aussi fait part d’un reproche qu'elle aurait reçu de ses collègues scénaristes : comment réagissez-vous, lorsqu’on vous dit « lâchez la Syrie », lui a-t-il demandé. Ce à quoi elle lui a répondu – avec raison - qu’elle n’abondonnerait jamais son pays natal.

Mais pourquoi ne lui a-t-il pas aussi demandé quelle place le Québec occupe-t-il dans son imaginaire ?

On comprend que le thème exploré par la série soit « à la fois actuel et difficile, mais plein d’humanité », selon la description inscrite sur le site de notre société d’État. À tel point que Télé-Québec, le diffuseur, nous promet même un montage spécial pour le jour même de Noël, le 25 décembre 2020, à 11 heures : avis donc aux jeunes flos confinés.   

Mais revenons à notre question : que dit sur le Québec la sixième émission de la série, intitulée fort opportunément « Un pays blanc » ? Que dit-elle aux jeunes Québécois ?

Tout d’abord, il est intéressant de noter que les personnages féminins sont rassurants et adaptés au goût du jour : aucune des femmes ne porte le voile de manière « ostensible », cela bien sûr s’explique puisque les personnages choisis sont chrétiens; une femme porte même une croix, mais de manière ostensible, cette fois. De plus, une jolie jeune femme aux cheveux longs (rouges ou roux), porte un pantalon étroit, et elle est courtisée par un séduisant jeune homme barbu. Et tout ce beau monde parle bien entendu le français, même si on entend les personnages âgés chanter et parler en arabe.

À la fin de leur parcours, Dounia et ses grands-parents se préparent à partir pour le Canada. Cela est répété à quelques reprises, sans que le mot Québec ne soit prononcé une seule fois… Étrangement, on n’entend jamais des chansons ou des comptines québécoises dans cette sixième émission qui se déroule pourtant au Québec. Est-ce que cela n’aurait pas permis une belle introduction à ce pays «blanc» à la maison «bleue», pour employer les mots de la jeune Dounia? D’ailleurs toute la musique et les chansons des six émissions de la série appartiennent au répertoire arabe.

En visionnant cette série bien conçue et agréable à voir, je me suis demandé si, tout en reconnaissant la nécessité de sensibiliser les enfants à la condition vécue par les réfugiés, il ne fallait pas aussi  intéresser les jeunes de toutes origines à la culture de la société ambiante.

Il est vrai qu’on voit et qu’on entend, dans la dernière émission, des personnages à l’accent bien de chez nous.  Un homme québécois est en train, comme il le dit, de « retaper » son habitation avant que n’arrive l’hiver.  Et que dit-il ?

« On est un petit village avec plus de maisons que d’habitants », nous apprend-il.

Sans doute que le rêve du grand-père de Dounia aura été exaucé puisqu’il était à la recherche de « Maisons qui ont besoin d’habitants».

Mais, me suis-je aussi demandé, est-ce bien l’image d’un Québec vidé de ses habitants que nous souhaitons projeter aux enfants ?

***************

Mon échange avec Madame Marya Zarif sur Facebook :

Victor Teboul

Partagé avec Public

Je trouve intéressant le dessin animé, Dounia, de même que toute la couverture qu’il reçoit autant à Télé-Québec qu’à Radio-Canada auprès de l’éternel René Homier-Roy, mais j’aurais aimé poser une question toute simple à Marya Zarif, l’autrice, qui m’a invité à «liker» son travail (ce que j’ai fait). La question toute simple donc à Mme Zarif : que dit-on sur le Québec à la petite Dounia ?

Marya Zarif

C’est une excellente question, si seulement je l’avais comprise ?

Répondre · 1j

Auteur

Victor Teboul (à Mme Zarif)

Très simple, que lui dit-on sur le Québec à la petite Dounia ?

· Répondre · 1j

Marya Zarif (à Victor Teboul)

je vous laisse le soin de lui en parler, après l’avoir écoutée.

· Répondre · 1j

Auteur

Victor Teboul (à Marya Zarif)

N'est-ce pas plutôt à vous de le faire ? Puisque vous avez créé Dounia.

· Répondre · 1j · Modifié

Marya Zarif (à Victor Teboul)

je n’ai pas à parler à mon personnage de qui que ce soit, je le laisse me raconter ce qu’elle veut me raconter.

· Répondre · 1j

Auteur

Victor Teboul (16 déc. 2020)

Votre réponse est plutôt facile, vous savez bien que tous les grands auteurs dialoguent avec leurs personnages. Vous esquivez donc la question, car ce que je veux savoir, c'est que dans un conte pour enfants, on raconte toutes sortes de choses, donc, qu'est-ce qu'on raconte aux enfants et à Dounia, en particulier, sur le Canada et sur le Québec ? Peut-être devriez-vous réfléchir un peu à la question, car le Québec est habité par des gens, leurs maisons ne sont pas vides. Que dit-on donc sur ces gens ?

**************

Notes 

L'émission Culture Club : 

https://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/culture-club

La série Dounia à Télé-Québec :

17 décembre 2020



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Victor Teboul is a writer and the publisher of Tolerance.ca ®, The Tolerance Webzine, which he founded in 2002 to promote a critical discourse on tolerance and diversity. He is the author of several books and numerous articles.

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