Tolerance.ca
Director / Editor: Victor Teboul, Ph.D.
Looking inside ourselves and out at the world
Independent and neutral with regard to all political and religious orientations, Tolerance.ca® aims to promote awareness of the major democratic principles on which tolerance is based.

Les Chiites et la politique

(French version only)
By
president, Middle East Pact (MEP)
Les chiites constituent l’une des deux grandes branches de l’Islam, l’autre étant représentée par les sunnites. Les chiites ne reconnaissent qu’Ali pour légitime successeur de Mahomet, et que les descendants d’Ali pour imams ou souverains pontifes. 

Subscribe to Tolerance.ca


Outre le chiisme duodécimain (religion d’Etat en Iran), reconnaissant douze imams, il existe une multitude d’écoles chiites : les ismaéliens des Indes, les alaouites de Syrie, les zaydites du Yémen et les alévis d’Azerbaïdjan et de Turquie pour ne citer qu’eux. Ils se sont bien éloignés de l’orthodoxie islamique, c’est-à-dire les enseignements du Coran et la tradition mahométane, et connaissent une jurisprudence assez développée.

S’ils ne représentent que 10% de l’Islam mondial, ils se concentrent au Moyen-Orient, et plus particulièrement autour du golfe Persique. Ils sont majoritaires en Iran (90%), en Azerbaïdjan (85%), en Irak (65%) et à Bahreïn (50-70%), et constituent une importante minorité dans une quinzaine d’autres pays comme le Yémen (45%), le Liban (25%), le Koweït (20%), les Emirats arabes unis (13%), la Syrie (11%), l’Arabie saoudite (10%) et le Qatar (10%).

A la veille des élections législatives irakiennes du 30 janvier 2005 qui ont offert la victoire à une formation politique d’obédience chiite à Bagdad, le président égyptien Hosni Moubarak confiait à la presse internationale son angoisse de voir les chiites arriver au pouvoir en Irak, affirmant que la loyauté des chiites étaient d’abord pour l’Iran. Il convient ici d’évoquer la vague d’arrestations des prédicateurs chiites au début des années 1990 par les autorités égyptiennes, et les propos méprisants des hauts dignitaires d’Al-Azhar, la plus haute instance religieuse de l’islam sunnite, à l’égard des « déviants » chiites. En quoi ces craintes du raïs égyptien, ouvertement partagées par le roi de Jordanie et le Secrétaire général de la Ligue arabe, sont-elles fondées ?

Le chiisme : une religion messianique

Exclus de la succession du prophète de l’Islam, les descendants de l’imam Ali, gendre de Mahomet, ont toujours été marginalisés. La domination sunnite a contraint les chiites et les sectes qui en sont issues à se soumettre au pouvoir califal, quitte à se réfugier dans de minuscules enclaves montagneuses : les druzes et les alaouites au Liban et en Syrie, les zaydites sur les montagnes du Yémen... Cet isolement n’a fait que renforcer la doctrine religieuse du chiisme. La théorie de l’imam caché, l’imam zaman, attendu à la fin des temps pour délivrer tous les déshérités de la planète, agit comme référent symbolique contre le monde des dominants assimilés à l’Occident judéo-chrétien, mais également au monde sunnite. Ce messianisme a pu être facilement associé à une vision prophétique d’une défense des opprimés contre les tyrans et être réinvesti, en Iran, par le moyen de la Révolution islamique comme alternative au communisme qui s’érodait sérieusement.

Depuis la révolution de 1979, le régime islamique iranien a utilisé les symboles du chiisme, telle que l’idée du martyre, afin de servir sa cause, particulièrement au cours de sa guerre contre l’Irak. En effet, les bassidjis étaient des combattants d’une organisation créée juste après la Révolution, partie intégrante de l’armée et forte d’un demi-million de jeunes, envoyés sur le front dès l’âge de douze ans et qui y périssaient dans la « tradition des martyrs chiites ». Il n’y a rien d’étonnant au fait que la milice chiite libanaise Hezbollah contrôlée par Téhéran ait recruté plus de 2 000 enfants âgés de dix à quinze ans pour former des milices armées, une attitude largement désapprouvée par l’opinion publique arabe.

La prédominance de l’adhésion nationale sur le communautarisme

Malgré les forts et nombreux clivages religieux qui traversent les sociétés de la région et au delà de toute considération communautaire ou idéologique, les conflits entre Etats du Moyen-Orient sont assez révélateurs de la prédominance de l’appartenance étatique sur l’appartenance religieuse : la guerre Iran-Irak a démontré que les chiites irakiens, malgré leur statut de majorité opprimée, n’ont, dans l’ensemble, pas été solidaires de l’Iran mais de l’Irak. L’exemple de la guerre du Golfe est aussi révélateur de la même prédominance. En effet, lors de ce conflit, les Frères musulmans égyptiens, syriens et jordaniens, les Wahhabites saoudiens et les Mawdoudites pakistanais se sont alignés sur les positions de leurs pays respectifs.

Après la première guerre du Golfe (1990-1991), Téhéran s’est de nouveau lancé dans le parrainage de certains groupes rejetés par Riad (notamment le FIS d’Algérie et Al-Nahda de Tunisie) dans l’espoir d’effectuer une percée en milieu sunnite. L’organisation, à Téhéran, le 19 octobre 1991, d’une « conférence de solidarité avec le peuple musulman de Palestine », condamnant le processus de paix au Proche-Orient, a permis à l’Iran de se placer en fédérateur de mouvements islamistes sunnites délaissés par leurs États. Cependant, cette brève et relative sortie de son isolement ne signifie pas pour autant la fin du clivage durable entre sunnites et chiites.

Les différentes tentatives d’exportation de la révolution iranienne au moyen de groupes islamistes terroristes ont donc échoué car les mollahs de Téhéran ne sont pas parvenus à tisser des liens solides avec des groupuscules sunnites ayant un véritable impact dans leurs pays. Cela démontre que les logiques étatiques ne s’accordent pas forcément avec les stratégies de mouvements activistes. Ainsi, les masses musulmanes peuvent se montrer indifférentes voire hostiles aux manœuvres iraniennes : en juillet 1987, les émeutes provoquées par des Iraniens lors du pèlerinage de la Mecque, n’ayant pas été suivies par une majorité de pèlerins, ont donc échoué.

Même dans le monde chiite, loin de former un ensemble homogène, les configurations politiques et sociales existantes ne se prêtent pas forcément à une pénétration iranienne. Ainsi, si l’Iran dispose d’appuis dans le sous-continent indien, il n’y rallie pas la totalité des chiites. D’autre part, dans les régions où contrairement à l’Iran un clergé fort n’a pu se constituer, la pénétration demeure très faible : c’est le cas des chiites alévis en Turquie, majoritairement favorables au maintien de la laïcité. Au Liban, il est vrai que la radicalisation des positions islamistes chiites a rapproché le Hezbollah des thèses iraniennes, mais elle l’a éloigné pour les mêmes raisons de la majorité parlementaire libanaise, voire même de l’influent parti chiite Amal duquel est issu l’actuel président du Parlement libanais, Nabih Berri. Ce dernier a négocié pour son pays le cessez-le-feu avec Israël en août 2006, par l’intermédiaire des émissaires occidentaux et onusiens.

La fin de la révolution iranienne a sans doute affaibli les courants chiites radicaux. C’est pourquoi le régime islamique se concentre de plus en plus sur la « résistance à Israël » et relègue au second plan la caractéristique religieuse de son combat.


Comment on this article!

Postings are subject to the terms and conditions of Tolerance.ca®.
Your name:
Email
Heading:
Message:
Follow us on ...
Facebook Twitter