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Le malaise des chrétiens d’Egypte

(French version only)
By
president, Middle East Pact (MEP)
Les chrétiens d’Égypte font face depuis trente ans au problème islamiste. Pour Brian May, responsable de la Commission des droits de l’homme d’Amnesty International, « les Coptes restent une cible privilégiée de la violence islamiste et l’objet d’une discrimination diffuse. » A force de pressions, de persécutions, d’intimidations au quotidien, on devient musulman pour avoir la paix, pour se marier avec une musulmane, pour faire carrière, pour trouver un logement ou pour aller à l’Université.
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Etymologiquement, les Coptes (ou les Gyptes) sont les « habitants de l’Egypte » tels que les désignaient les Grecs. Evangélisés par l’apôtre Marc, ils se constituèrent en Eglise nationale au concile de Chalcédoine en 432, rompant avec Byzance sur la nature monophysite du Christ. L’Egypte fut progressivement islamisée à partir de la conquête arabe du VIIe siècle, les chrétiens jouissent depuis du statut de dhimmi, « protégés » ou citoyens de seconde zone, et sont régulièrement la cible de pogroms. D’un point de vue ethnique, les Egyptiens sont tous Coptes, quelle que soit leur religion, les Egyptiens musulmans étant des Coptes convertis et non des Arabes. Il est possible d’exclure de la coptité les Bédouins du Sinaï, les Berbères du désert libyen ainsi que les descendants d’immigrés venus d’Arabie et de Turquie. Si tous les Egyptiens sont Coptes, l’appellation désigne parfois les chrétiens orthodoxes, lesquels dépendent de l’Eglise copte dont le siège est à Alexandrie.

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Il n’existe aucune statistique officielle sur la répartition confessionnelle en Egypte. Les recensements des ONG proches du gouvernement tendent à minimiser le nombre des chrétiens. Ainsi un recensement non officiel de 1986 donnait le nombre de 3 300 000 chrétiens alors que les Eglises locales, à partir des registres des baptêmes, affirmaient l’existence de huit millions de fidèles, soit légèrement plus de 15% de la population égyptienne. Ils sont de nos jours près de douze millions d’âmes sur les 80 millions d’Egyptiens, selon les registres des mêmes Eglises, soit un peu moins de 15% de la population globale. Cette baisse proportionnelle constatée en vingt ans est due essentiellement au fait que de plus en plus de chrétiens, pour des raisons de sécurité ou de pression sociale, déclarent être musulmans. Ces chiffres indiquent néanmoins que les Coptes orthodoxes constituent la principale communauté chrétienne de la région et que plus d’un chrétien sur deux au Moyen-Orient est de nationalité égyptienne. Finalement, les régions où l’on trouve la plus grande concentration de chrétiens sont la Haute-Egypte et notamment les gouvernorats de Minia, Assiout, Sohag et Qena, où le pourcentage des chrétiens s’élève à 35%.

La détérioration de la condition copte depuis 1952

Au XXe siècle, les chrétiens d’Egypte ont été à la tête de la lutte nationaliste anti-coloniale. De l’avocat Wissa Wassef, qui milita entre 1903 et 1904, à travers son Egyptian Gazette, contre la politique britannique de l’enseignement accusée d’ « acculturation », à Morcos Hanna qui se distingua comme un patriote intègre au sein du Parti national à partir de 1905. Les chrétiens ont donné à l’Egypte deux Premier ministres et un président du Parlement lors de l’indépendance. C’est le cas de Boutros Ghali Pacha qui accéda à la tête de l’Exécutif avant d’être assassiné en 1910. Par ailleurs, lors de la révolution de 1919, l’Eglise copte appela ouvertement ses fidèles à la révolution contre le colonialisme européen lors des prédications qui mettaient en avant l’union du Croissant et de la Croix. L’engagement politique des chrétiens et leur contribution à l’indépendance du pays est donc indéniable.

A partir de février 1922, date d’abolition du protectorat britannique, la reconnaissance de principe qui accorda à l’Egypte une indépendance symbolique fut assortie de conditions qui incitèrent nombre de dirigeants de la communauté chrétienne à se plaindre auprès des instances européennes et américaines. Parmi eux figurent Wissa Wassef (qui deviendra président du parlement égyptien entre 1928 et 1930), Wacyf Boutros Ghali, Makram Ebeid, Morcos Hanna et Fakhry Abdel-Nour dont les fils Saad et Amin joueront plus tard un rôle important dans le gouvernement. C’est Wacyf Boutros Ghali, ministre des affaires étrangères à plusieurs reprises, qui exerça une action décisive dans l’élaboration en 1936 du traité qui consacra, avec la Conférence de Montreux en 1937, l’indépendance de l’Egypte. La persistance de troupes anglaises sur le sol égyptien était néanmoins mal supportée. Elle aboutit à la déposition, en juillet 1952, du roi Farouk et à l’arrivée de Nasser au pouvoir deux ans plus tard.

C’est depuis l’ère Nasser que les chrétiens d’Egypte sont marginalisés et persécutés par un pouvoir à la fois autoritaire et vulnérable aux pressions des islamistes. Il est vrai que le régime nomme en permanence un à deux ministres chrétiens dans son gouvernement, mais loin des portefeuilles dits de souveraineté. A ce sujet, une anecdote peu connue en Occident mérite d’être relatée. Lorsque le président Sadate voulut reléguer le dossier des négociations de paix avec Israël à Boutros Boutros-Ghali, diplomate chevronné et respecté, il ne parvint pas à lui confier les affaires étrangères. Comment l’Egypte, islamique selon l’article 2 de sa constitution, aurait pu être représentée par un chrétien ! C’est alors que fut créé pour M. Ghali un ministère d’Etat pour les affaires étrangères, outre le ministère des affaires étrangères, afin de ne pas heurter la sensibilité des islamistes. Autrement dit, un ministère a été créé sur mesure afin que M. Ghali puisse assister le président Sadate dans son projet de paix, sans qu’il n’accède à un ministère de premier plan.

Aujourd’hui encore, les chrétiens d’Egypte qui représentent 15% de la population globale du pays n’occupent que 1.5% des emplois dans la Fonction publique, ne détiennent qu’un seul siège au Parlement (sur 444) et sont quasiment exclus des hauts échelons de l’armée et de la magistrature.

La duplicité du régime de Moubarak

Outre l’autoritarisme du régime issu du coup d’Etat de 1952, les chrétiens font face depuis trente ans au problème islamiste. Dans les années 1970 en Haute-Egypte, puis en juin 1981, lors des émeutes de Zawiya el-Hamra dans la banlieue du Caire, des groupuscules se revendiquant d’un islam intégriste tuèrent plusieurs centaines de Coptes, provoquant la colère de leur patriarche, Chenouda III, qui dénonça alors le laxisme du pouvoir. Le président Sadate, excédé, mit en résidence surveillée le prélat. Depuis le milieu des années 80, celui-ci adopte une attitude nettement plus conciliante. Pour Brian May, responsable de la Commission des droits de l’homme d’Amnesty International, « les Coptes restent une cible privilégiée de la violence islamiste et l’objet d’une discrimination diffuse. » A force de pressions, de persécutions, d’intimidations au quotidien, on devient musulman pour avoir la paix, pour se marier avec une musulmane, pour faire carrière, pour trouver un logement ou pour aller à l’Université.

Si le régime de Moubarak maintient la pression sur les groupes islamistes armés qui le menacent, il assouplit néanmoins sa position vis-à-vis de l’islamisme politique en rendant la partie difficile aux chrétiens, mais aussi aux homosexuels, aux féministes et aux intellectuels de tout bord, qui subissent une forte répression. En 1984, le mouvement islamiste des Frères musulmans s’alliait ainsi au néo-Wafd et obtint 8 sièges lors des législatives. La confrérie forma une autre coalition avec le Parti du Travail en 1987 et obtint 24 sièges au Parlement. A partir de 1992, ils sont omniprésents dans les syndicats professionnels. Ayant besoin du soutien des islamistes afin de réprimer toute opposition de la part des modérés laïcs qui n’arrêtent pas de réclamer des réformes, le régime multiplie les gestes symboliques :

- L’alcool devient prohibé sur les vols de la compagnie nationale Egyptair en 1985 ;

- Toujours en 1985, les responsables de la communauté bahaïe sont arrêtés et jugés en vertu d’une loi de 1960 qui interdit les sectes en Egypte. La loi égyptienne ne reconnaissant comme « confessions légales » que les trois religions citées dans le Coran : islam, christianisme et judaïsme ;

- Les programmes télévisés sont interrompus cinq fois par jour, par l’appel à la prière ;

- Une loi impose aux écoles (y compris les écoles privées chrétiennes) la construction de lieux de culte musulmans ;

- L’Assemblée du peuple annule la loi Jihane, adoptée à la fin des années 1970 à l’initiative de l’épouse de Sadate, donnant le droit de divorcer aux femmes dont le mari décidait de prendre une deuxième épouse ;

- Dans le gouvernorat d’Assiout (Haute-Egypte) où la population est chrétienne à plus de 35%, le gouverneur fait annuler les licences de distribution d’alcools, et l’université instaure la séparation des sexes dans les amphithéâtres.

Le gouvernement égyptien laisse fréquemment entendre que la liberté de croyance et d’opinion est parfaitement respectée par ses instances. C’est pourtant un tribunal militaire, soumis à l’autorité directe du chef de l’Etat, qui prit l’initiative de poursuivre l’écrivain Alaa Hamed et de le condamner à huit ans de prison pour blasphème, en contradiction flagrante avec le paragraphe sur les libertés de croyance et d’expression de la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations unies de 1948 dont l’Egypte est signataire. De Hamed Abou-Zeid à Nawal Saadawi, des intellectuels de toutes tendances sont réprimés par le pouvoir et les chrétiens sont les premières victimes de l’islamisation de la société égyptienne. Certains sont contraints de s’exiler, d’autres sont arrêtés et déchus de leurs droits civils.

L’Université Al-Azhar, le plus grand centre de théologie sunnite, proclame ouvertement une guerre sans merci contre ceux qui critiquent la charia, jurisprudence islamique. Ce haut lieu de l’islam vise à interdire leurs publications, leurs films ou leurs spectacles théâtraux. Il lance des anathèmes contre leurs opposants, notamment les laïcs en les qualifiant d’athées et d’apostats, accusations ayant des conséquences directes sur les droits civils. Par exemple, un athée ou un apostat n’a pas le droit de se marier, de posséder un bien ou d’hériter. C’est le cas, notamment, du professeur Abou-Zeid contre lequel un groupe d’islamistes a intenté un procès en apostasie réclamant du tribunal qu’il le sépare de sa femme, au motif qu’un apostat ne peut prétendre à l’union conjugale. Cette affaire a abouti à la Cour de Cassation, laquelle a donné raison aux islamistes dans une décision du 5 août 1996. Le couple susmentionné a dû se réfugier aux Pays-Bas, de peur d’être tué. En effet, la loi islamique punit l’apostasie de mort.

En vertu de cette norme, qui ne figure pas dans le code pénal égyptien, le penseur égyptien laïc Farag Fodah a été assassiné le 7 juin 1992 par un islamiste. Auparavant, Al-Azhar avait porté plainte contre lui, et le gouvernement l’avait placé en résidence surveillée. Les Frères musulmans rejettent la responsabilité sur le gouvernement et les médias d’avoir laissé « le champ libre à des écrivains laïcs ». L’assassin de Farag Fodah a indiqué lors de l’enquête que le cheikh Omar Abdel-Rahman, figure de proue du mouvement islamiste Al-Djihad, réfugié aux États-Unis, avait déclaré licite « de faire couler le sang de tous ceux qui s’opposent à la loi islamique ». Le 22 juin 1993, la défense de l’assassin faisait appel à deux autorités religieuses pour témoigner devant la Cour suprême égyptienne de la sûreté de l’Etat, le cheikh Mohamed Al-Ghazali et le professeur Ahmed Mazruah de l’Université Al-Azhar. Tous deux ont justifié l’assassinat.

Le problème copte est politique avant d’être religieux

La question des minorités religieuses en Egypte revêt un caractère éminemment politique, que ce soit indirectement, par une pratique autoritaire du pouvoir qui favorise l’émergence de l’extrémisme, ou directement, par le biais de normes discriminatoires. Ces dernières sont elles-mêmes habituellement le produit d’une compromission entre l’Etat et les milieux islamistes dont le premier réussit à tirer une parcelle de la légitimité – religieuse – qui sous-tend la popularité des seconds. En cela, il reste fidèle à une tradition de « récupération » du religieux que l’on peut quasiment dater de l’apparition de l’islam sur son territoire et qui trouve ses expressions les plus récentes dans la fonctionnarisation des oulémas par Nasser en 1961 ou la récente « nationalisation des mosquées » sous l’ère Moubarak.

C’est encore un souci de légitimation qui anime le gouvernement lorsqu’il se pose en défenseur de l’Etat de droit contre la menace islamiste et, en gage de bonne volonté vis-à-vis de la communauté internationale, adhère, par exemple, le 14 janvier 1982, au Pacte relatif aux droits civils et politiques. Ce dernier oblige les Etats signataires en vertu de son article 40, outre le respect des droits qui y sont mentionnés, à la présentation périodique d’un rapport. L’examen par le Comité des droits de l’homme des troisième et quatrième rapports, remis simultanément par l’Egypte en octobre 2002, avec sept ans de retard, ne laisse que peu d’illusions sur la réalité de l’engagement égyptien ; le comité regrettant « le manque de clarté qui entoure la question de la valeur juridique du Pacte par rapport au droit interne et aux conséquences qui y sont attachées. » (1)

Note

(1) Comité des droits de l’homme des Nations unies, 76ème session, Examen des rapports présentés par les Etats parties en vertu de l’article 40 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Observations finales du Comité des droits de l’homme, Egypte, annexe 1, 28/11/2002.


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