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Le Liban : une démocratie arabe ?

(French version only)
By
president, Middle East Pact (MEP)
La composition sociale du Liban est unique au Moyen-Orient. Elle s’exprime dans l’édifice politique actuel par un confessionnalisme répartissant les postes au sein de l’administration entre communautés selon un système de quotas. En plus du confessionnalisme et de ses évolutions, la vie politique libanaise est marquée par le rôle des familles. Les communautés libanaises sont en effet représentés mais aussi divisées par des loyautés claniques à des dynasties familiales.

Un confessionnalisme politique

Le Pacte national de 1943 qui fonde la nation libanaise est basé sur le recensement de 1932. Il assure le partage du pouvoir sur des bases confessionnelles et la prééminence des maronites (chrétiens), communauté majoritaire à l’époque. La présidence de la République est réservée à un maronite, le poste de président du Conseil à un sunnite et celui de président de la Chambre des députés à un chiite. La Chambre des députés est composée de 99 députés répartis entre 54 chrétiens (30 maronites, 11 grecs-orthodoxes, 6 grecs-catholiques, 4 arméniens apostoliques, 1 arménien catholique, 1 protestant et 1 chrétien d’une autre confession variable) et 45 musulmans (20 sunnites, 19 chiites, 6 druzes). Les postes dans l’administration sont répartis entre chrétiens et musulmans dans un rapport de six à cinq. Le commandement suprême de l’Armée libanaise est réservé à un maronite. Les communautés conservent une autonomie législative et judiciaire en matière de statut personnel, c’est-à-dire par exemple que le mariage civil n’existe pas, que des communautés peuvent reconnaître le divorce et d’autres non. Cette organisation est également fondée sur un compromis sous-jacent : les chrétiens renoncent à la protection française tandis que les musulmans renoncent à l’unité arabe et au projet de Grande Syrie. L’attribution des sièges de député est également répartie selon les régions du pays. Ces conditions parachèvent l’équilibre du confessionnalisme. De nombreuses analyses ont porté sur le système confessionnel libanais qui semble détenir en lui le germe des luttes fratricides qui opposeront les communautés, mais celui-ci remporte à l’époque une large approbation. Ce système consensuel paraît aller dans le sens de l’équité et de la justice mais les évolutions démographiques et le débordement des instabilités régionales entraînent peu à peu la remise en cause des équilibres communautaires du pays et du Pacte national qui en découle.

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Au fil des ans, le poids des maronites dans la population décroît fortement, celui des sunnites diminue également tandis que celui des chiites augmente rapidement. Les facteurs qui expliquent cette évolution sont relativement simples et semblaient prévisibles. La communauté maronite plus aisée a entamé plus précocement sa transition démographique (diminution de la natalité et de la mortalité) et ses attaches occidentales particulières ont entraîné une forte émigration. Durant la même période les sunnites libanais voient l’arrivée des Palestiniens, très majoritairement sunnites, qui bien que n’ayant pas la nationalité libanaise constituent un allié naturel en armes. Les chiites, demeurant la communauté la plus déshéritée et souffrant des combats israélo-palestiniens dans le sud du pays, possèdent la natalité la plus élevée.

En 1989, les accords de Taëf modifient la répartition confessionnelle des postes à la Chambre et dans l’administration. Le nombre de députés est porté à 108, répartis à égalité entre chrétiens et musulmans. Dans les institutions publiques, la règle de la représentation confessionnelle est abolie et remplacée par le critère de la qualification et de la spécialisation à l’exception des fonctions de première catégorie qui sont réparties à égalité entre chrétiens et musulmans, sans spécification d’aucune fonction à aucune communauté en particulier. La mention de la confession ou du rite sur la carte d’identité est abolie. Pour finir, l’abolition du confessionnalisme politique est érigée en objectif à valeur constitutionnelle.

On peut enfin s’interroger sur les changements de la scène politique du Liban. Depuis le début du mouvement populaire, l’omniprésence du drapeau libanais – qui remplace les étendards confessionnels – traduit-il pour autant la naissance d’un sentiment patriotique durable ou doit-on craindre la résurgence des clivages antérieurs ? Le mouvement d’opposition a rassemblé plus de militants que le Hezbollah et les loyalistes, mais cette « union sacrée » sera-t-elle durable ? La Ligue de l’indépendance a très vite disparu, après 1943. Et le mouvement de 1951 a été le dernier rassemblement pluricommunautaire de l’histoire contemporaine du Liban. Il s’est, lui aussi, très rapidement essoufflé : dès les élections de 1953, on a vu resurgir la variable confessionnelle. Si l’on vient d’assister à une réconciliation à la suite de l’élection des accords de Doha et de l’élection du nouveau président, nul ne peut néanmoins affirmer que cet élan s’est fixé pour idéal une renonciation au communautarisme politique.

Le poids des allégeances claniques et familiales

L’Etat libanais est marqué depuis ses origines par le rôle des familles auxquelles sont associées des réseaux de solidarité et de loyauté claniques qui ont parfois mené à des conflits intra-communautaires violents au gré des retournements d’alliances. Chez les druzes la famille Joumblatt remontant au XVIIème siècle s’est longtemps opposée à la famille Hamadé. Farid Hamadé s’allie par exemple à des groupes chrétiens durant la guerre civile tandis que le Parti Socialiste progressiste de Walid Joumblatt soutient l’intervention syrienne malgré l’assassinat de son père Kamal Joumblatt, fondateur du PSP, le 16 mars 1977 par les services secrets syriens. Farid Hamadé est contraint à l’exil après l’invasion syrienne de 1990 et meurt à Paris neuf ans plus tard. De nos jours Walid Joumblatt fait partie de la majorité anti-syrienne.

Au sein de la communauté maronite, la famille Chamoun donne au Liban un président de 1952 à 1958 : Camille Chamoun. Celui-ci fonde le parti national libéral. Son fils Dany, fondateur des milices du Tigre, est assassiné le 21 octobre 1990 avec sa femme et deux de ses enfants. Les Gemayel sont une autre famille prépondérante chez les maronites, ceux-ci sont représentés par Pierre Gemayel qui fonde dans les années 1930 les Phalanges (Kataëb), groupe politico-militaire inspiré des structures fascistes européennes (sur le plan organisationnel plutôt qu’idéologique). Son fils Béchir est élu président le 23 août 1982 et assassiné le 14 septembre avant même son entrée en fonction. Un autre de ses fils, Amine, le remplace alors. Pierre Amine Gemayel, fils de Amine et également homme politique, est assassiné le 26 novembre 2006. Son meurtre a été inclus dans le mandat de la commission d’enquête sur l’assassinat de Rafic Hariri à la demande du Premier ministre Fouad Siniora. On peut aussi citer les familles Eddé, Frangié, Lahoud, Murr qui ont toutes donné au Liban plusieurs générations d’hommes politiques.

Un défi de conserver la diversité

En dépit de ses faiblesses et ses fragilités institutionnelles, le Liban est néanmoins et incontestablement le pays arabe le mieux intégré dans la modernité démocratique. Sa diversité est la source de son modernisme par rapport aux sociétés fermées et aux tendances obscurantistes qui caractérisent si fréquemment le Moyen-Orient. Le pays est réputé pour son ouverture sur le monde qui attire par ailleurs les hommes d’affaires du Golfe désireux de sortir du carcan d’une société uniformisante et oppressante. Le pays du Cèdre doit réaliser le défi de conserver cette diversité et s’affirmer sinon en modèle, du moins en contre-exemple des archaïsmes régionaux. Cette faculté de résistance à l’islamisme et au panarabisme totalisant, ce petit pays de près de quatre millions d’habitants le doit évidemment à la présence multiséculaire d’une communauté chrétienne longtemps majoritaire. Cette présence a permis au pays d’institutionnaliser la diversité culturelle, le pluralisme religieux et de bâtir une démocratie arabe populaire dans une région où celle-ci est souvent perçue comme un artifice impérialiste.

Le Liban est le seul pays du Moyen-Orient où les non musulmans disposent de droits civils et politiques égaux à ceux des musulmans à tel point qu’au moment de la création de l’Etat d’Israël et de l’exode massif des Juifs des pays arabes, le Liban a été le seul Etat de la région après Israël, à attirer – provisoirement il est vrai – les immigrés juifs venus de Syrie et d’Irak. Ce pays doit demeurer un refuge, une terre préservée du fondamentalisme depuis lequel les chrétiens peuvent parler au nom de leurs coreligionnaires opprimés dans les pays voisins. Pour preuve, les chrétiens libanais représentant moins de deux millions d’individus sont bien plus visibles et audibles que les coptes d’Egypte, forts d’une douzaine de millions de fidèles, qui subissent une persécution latente des autorités égyptiennes et des groupes islamistes.


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