Par Étienne Harvey pour Point de Bascule
Le 23 novembre 2010, l’animateur Michel Désautels de Radio-Canada recevait Charles Enderlin à l’occasion de la parution de son livreUn enfant est mort. Dans son livre, Enderlin maintient qu’un de ses reportages de l’automne 2000 décrivait bel et bien l’assassinat d’un jeune Palestinien (Mohamed al-Dura) par des militaires israéliens alors que plusieurs observateurs considèrent que la scène filmée était une mise en scène.
Philippe Karsenty compte parmi ceux qui dénoncent Enderlin pour avoir trafiqué la réalité. Il anime Media-Ratings, une organisation indépendante qui s’est donnée pour mission d’évaluer la fiabilité des informations diffusées par les medias. Pour justifier ses accusations de « supercherie » et de « mascarade», Karsenty fait valoir que l’angle des traces de balles sur un mur derrière l’enfant était incompatible avec la position de l’armée israélienne au moment où furent filmées les scènes commentées par Enderlin. Karsenty relève également l’absence de sang sur les vêtements de l’enfant et de son père pourtant censés avoir été atteints de plusieurs balles, il signale que l’enfant prétendument mort lève le coude pour regarder la caméra dans les images saisies par le caméraman d’Enderlin (vidéo ICI) et il fait état d’autres incohérences.
Toute cette affaire s’est retrouvée devant les tribunaux français lorsque Charles Enderlin a poursuivi Philippe Karsenty pour diffamation. Le 21 mai 2008, la Cour d’appel de Paris a exonéré Karsenty de toute accusation. Une reproduction PDF du jugement est disponible ICI. Philippe Karsenty a également reproduit la décision sur son propre site ICI.
Plutôt que de demander à Charles Enderlin de commenter les faits qui ont amené les trois membres de la Cour d’appel de Paris à rejeter les accusations de diffamation portées contre M. Karsenty, Michel Désautels a présenté toute l’affaire comme une espèce de vendetta personnelle menée par « des Juifs de droite » contre son invité.
Voici un exemple de commentaires complaisants que Désautels formula et auxquels il demanda à Charles Enderlin de réagir durant son émission :
Michel Désautels (Audio)
« Jamais aucune preuve solide d’un montage ou d’éléments non concordants n’ont pu être avancés. C’est un peu une rumeur qui se nourrissait d’elle-même dans les éléments plus à droite, par exemple des associations juives américaines ou en France ou ailleurs encore sur la planète, un peu comme un serpent qui se mord la queue et qui se nourrit lui-même. C’est assez particulier ça aussi comme processus. »
Durant son entrevue, Désautels et son invité ont parlé de l’intégrité du caméraman, d’Arafat, de l’intifada et de Hollywood mais jamais des faits qui sont en cause dans cette affaire.
Pour en arriver à sa décision de 2008, la Cour d’appel de Paris rappela qu’en 2002, « la chaîne de télévision allemande ARD (a) diffus(é) un documentaire d’Esther Shapira intitulé Qui a tué Mohamed Al Dura, qui met l’accent sur le défaut de preuves matérielles permettant notamment de déterminer l’origine des tirs et sur l’absence de véritable autopsie de l’enfant ».
Charles Enderlin a reconnu ne pas avoir été témoin des faits qu’il a commentés en voix « off » dans son reportage. Dès le départ, il a donc été complètement à la merci de son caméraman Talal Abu Ramah pour le choix des images. La décision de la Cour d’appel rapporte qu’en visionnant les images tournées par le caméraman (rushes), l’ancien rédacteur en chef du Monde, Luc Rosenzweig, constata que 23 des 27 minutes de scènes filmées « n’avaient rien à voir avec les images diffusées par la chaîne, dont celles de la mort du petit Mohammed, et (qu’elles) consistaient dans la présentation de fausses scènes de guerre par de jeunes Palestiniens ».
Deux des nombreux Considérant invoqués par la Cour pour débouter Charles Enderlin dans ses tentatives de faire condamner son contradicteur méritent également qu’on s’y attarde :
Considérant qu’en répondant à Denis JEAMBAR et à Daniel LECOMTE dans le Figaro du 27 janvier 2005, que « l’image correspondait à la réalité de la situation non seulement à Gaza, mais aussi en Cisjordanie », alors que la définition d’un reportage s’entend comme le témoignage de ce que le journaliste a vu et entendu, Charles ENDERLIN a reconnu que le film qui a fait le tour du monde en entraînant des violences sans précédent dans toute la région ne correspondait peut-être pas au commentaire qu’il avait donné, ce qui est également l’avis donné par Daniel DAYAN, directeur de recherches au CNRS et spécialiste des médias, dans son attestation (pièce n°5) ;
Considérant que Richard LANDES, journaliste, professeur à l’université de Boston, entendu en qualité de témoin par les premiers juges, a déclaré que, selon lui, après avoir étudié les rushes de Reuters et le reportage de Charles ENDERLIN avec lequel il s’est entretenu, la probabilité que la mort de l’enfant présentée par celui- ci serait une mise en scène était supérieurs à 95 %.
Selon ce que mentionna Michel Désautels lors de son émission du 6 décembre 2010 (audio ICI), des auditeurs protestèrent au sujet de son entrevue avec Charles Enderlin. Depuis, Radio-Canada a réagi en ajoutant sur son site deux liens vers des sites internet qui défendent les deux positions dans cette affaire.
Pour éclairer ses auditeurs, Michel Désautels aurait pu interviewer Karsenty ou certains des experts qui amenèrent les juges français à débouter Enderlin dans sa poursuite judiciaire. Peine perdue.
On s’est contenté d’une simple mention du site Media-Ratings de Karsenty dans un des racoins de l’immense site de Radio-Canada. Après avoir décrit Philippe Karsenty comme un fabulateur ou plus exactement comme « un serpent qui se mord la queue et qui se nourrit lui-même », Michel Desautels devait faire plus que cela pour redonner ses droits à la vérité.
Texte soumis à Tolerance.ca par Marc Lebuis
14 décembre 2010