Il y a quelques mois, je signalais ici même les doléances de notre ministre québécois de la culture, M. Maka Kotto, qui se désolait du fait que le public boudait les films québécois. Depuis, M. Kotto a formé un groupe de travail pour se pencher sur cette situation, groupe auquel participent quelques cinéastes, dont madame Micheline Lanctôt.
Or Téléfilm Canada, organisme fédéral sur lequel bien sûr M. Kotto n’a aucune autorité, vient d’annoncer un « investissement », selon le terme utilisé par un journaliste de Radio-Canada, de près de 4 millions de dollars pour financer cinq longs métrages, dont un de madame Lanctôt.
Savez-vous quels sujets aborderont ces films ? Commençons par le projet de cette dernière, dont la production s’intitule Autrui. En voici le résumé tel que nous l’annonce l’organisme qui distribue vos deniers:
«Lucie mène une vie discrète. C’est une jeune femme introvertie, fragile, sans ambition ni projet, dépassée par les vies effrénées qu’elle observe alentour d’elle. Éloi, un clochard qu’elle croise, est sur le point de mourir de froid dans la ruelle. Alors elle le prend chez elle pour lui permettre de récupérer. Ce sera d’abord un jour, puis deux. Il y restera quelques mois. La cohabitation sera douloureuse, et les réactions d’Éloi imprévisibles, mais petit à petit le charitable entêtement de Lucie lui redonnera une apparence humaine. En retour, il la sortira de ses fantasmes, la contraindra à prendre pied dans la vie et provoquera chez elle une maturité affective dont elle avait bien besoin.»
Mais ce n’est pas tout.
Madame Carole Laure fait aussi partie du palmarès. Son film, lui, s’intitule Exit. En voici un aperçu, selon le communiqué de Téléfilm Canada :
«Dans le milieu artistique de la ville de Montréal, un groupe de personnages se croisent et se débattent avec leur présent, leur entourage, leurs émotions et leurs démons. Les répétitions d’un spectacle multidisciplinaire mis en scène par Touga les réunissent. La beauté qui émane de leur art nous rapproche de l’émotion pure. Des effets de miroir s’accomplissent entre ce qu’ils interprètent et ce qu’ils vivent, parfois dans une étrange harmonie, parfois dans une grinçante distorsion qui aiguise et enflamme leurs relations.»
Souhaitez-vous connaître les autres films sélectionnés ? Je vous invite à lire la suite.
« Forget me not » est, imaginez-vous, le titre du troisième film des productions « de langue française » financées par l’organisme public.
Écoutez bien le sujet abordé par son auteur : « Séparés depuis dix ans, un homme et une femme se retrouvent pour identifier les restes de leur jeune fils porté disparu. Renaîtront alors non sans difficulté la confiance en la vie, l’acceptation de la mort et la possibilité d’une réconciliation. »
Enfin, le quatrième, pour ne pas nous décevoir s’intitule : N.O.I.R.
Celui-ci, nous informe le communiqué de Téléfilm Canada, met en scène « quatre personnes qui vivent dans le Ghetto. La violence, la drogue, la prostitution, les gangs de rue se battent et s’entretuent pour le pouvoir. Mais surtout, nous allons connaître des êtres humains qui souffrent et aspirent au bonheur et à la liberté. N.O.I.R. (offre) un regard sur l’univers des gangs de rue. »
Sans doute pour nous inciter à aller voir ce film, lors de sa sortie, on nous précise que c’est « Une histoire qui se passe chez nous ».
Le 5e film enfin est une production pour enfants, en fait, un remake en 3d et en animation d’un film qui avait eu un certain succès, il y a plus de 30 ans : La Guerre des Tuques.
On ne peut qu’être étonné, après lecture des sujets de films choisis, que la directrice générale de Téléfilm Canada s’autocongratule en affirmant que « la diversité des films sélectionnés » témoigne de l’engagement de son organisme « à rejoindre des auditoires variés ».
On aimerait bien savoir, parmi ces quatre films aux thèmes misérabilistes, où se trouve la diversité, et comment identifie-t-on les auditoires variés qui seraient intéressés par de tels sujets.
Avec une telle liste de films aussi déprimants, financés par un organisme qui reçoit son budget (près de 100 millions de dollars pour 2013- 2014) du Parlement fédéral canadien, sur quelle planète vit-on pour ensuite s'interroger sur le fait que le public boude les films québécois ?
Pourrait-on proposer aux augustes membres siégeant dans les divers comités et autres groupes qui distribuent les deniers publics en matière de films d’inviter de simples représentants du public lors de leurs délibérations ?
Après tout, les entreprises qui s’occupent de la mise en marché de leurs produits, ne font-elles pas appel à des « focus groups » ? Sans que cela soit le seul moyen de sélectionner des films, ne pourrait-on pas envisager de tenir compte aussi des goûts du public ?
Peut-être que Téléfilm Canada pourra alors joindre des « auditoires variés » qui seront charmés et captivés par des productions de langue française.
Le cinéma, ce septième art, ne doit-il pas nous élever et nous permettre de voir le monde autrement ?
9 mai 2013