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Le jour du Souvenir. Le coquelicot : naissance d'un symbole

par , anthropologue

Au Canada, la tradition de porter un petit coquelicot rouge en plastique feutré sur le revers d'un manteau  le 11 novembre tire ses origines d'une riche histoire symbolique. 

Créés à l'origine pour être vendus en France afin de lever des fonds pour les anciens combattants, les coquelicots commémoratifs se sont rapidement répandus dans les pays alliés, quoique de manière différente selon les pays. Chacun a adapté le symbole pour convenir à son propre contexte politique et social.

Un Canadien, le lieutenant John McCrae, chirurgien militaire de Guelph, a participé à sa diffusion à son insu quand son poème rédigé au front, « In Flanders Fields the Poppies Blow », est devenu un succès de librairie.

En 1920, une dame Guérin de France a organisé une levée des fonds pour les anciens combattants, les veuves et les orphelins de la Belgique et de la France en vendant de larges et beaux coquelicots de soie faits à la main. Les coquelicots étaient depuis longtemps associés aux champs de bataille et au sang des soldats, puisqu'ils poussent très bien sur une terre remuée et torturée. Ils avaient recouvert les tombes et les champs de bataille de l'Europe pendant et après la Première Guerre mondiale.

Les Britanniques ont rapidement joint Guérin, faisant la promotion de la Journée du coquelicot afin de lever des fonds pour les anciens combattants. Cependant, leurs coquelicots étaient de différentes tailles et de différentes qualités selon le montant de la contribution financière octroyée. Cette façon de faire correspondait probablement davantage à la plus grande conscience de classe des Britanniques. Lorsque Guérin a approché les Américains, ces derniers ont renommé le coquelicot « Buddy Poppy ». Lorsque des disputes ont éclaté entre les divers groupes américains, un de ceux-ci a voulu prendre ses distances en décidant d'utiliser plutôt la marguerite comme symbole.

Les anciens combattants américains ont finalement accepté d'utiliser le coquelicot lorsqu'un secrétaire du YMCA américain écrivit un poème plaidant pour le port du coquelicot par les soldats en réponse à « In Flanders Fields ».

Au Canada, le premier groupe joint par madame Guérin a été la section de la Légion canadienne de Thunder Bay. Les anciens combattants se sont ralliés au petit coquelicot simple et de qualité moyenne. Les 1 700 autres sections de la Légion canadienne ont suivi le mouvement. Notre coquelicot commémoratif n'a pas changé depuis 1921, si ce n'est des différentes attaches et de la brève tentative de lui imposer un centre vert. Quelque 13 millions de coquelicots sont vendus chaque année.

Fait intéressant à noter, lorsque les Canadiens sont questionnés sur la signification qu'ils donnent au coquelicot, leur réponse associe dans une même pensée un souhait pour la paix, la guerre, le souvenir, le patriotisme, le sacrifice des soldats et une forme de commémoration.

Dans plusieurs autres pays, les coquelicots sont vus comme le symbole du militarisme et des soldats. En Angleterre, par exemple, les pacifistes portent délibérément un coquelicot blanc qui se démarque des coquelicots rouges à l'allure plus guerrière.

Les Canadiens ont réuni dans leur coquelicot ce qui semble être des positions politiques irréconciliables – paix et guerre, pacifisme et patriotisme – en structurant volontairement leurs célébrations militaires et religieuses de l'Armistice autour des concepts de paix et de sacrifice.

À la fin de la Première Guerre mondiale, les tensions ethniques et sociales causées par le retour du front des anciens combattants menaçaient de faire éclater le pays. Ces derniers étaient épris de justice et avaient besoin de travail.

Le gouvernement fédéral renomma le jour de l'Armistice, jour du Souvenir, et créa un congé férié distinct de la fête plus religieuse de l'Action de grâce, qui a été reportée en octobre.

Empruntant le langage du poème de McRae, qui mettait l'accent sur un Canada traitant tous les citoyens avec le même esprit de camaraderie et d'égalité (poème qui fut trouvé parmi les soldats sur les champs de bataille), le gouvernement canadien créa de nouveaux emplois et mit sur pied l'État-providence, que nous connaissons aujourd'hui, pour résoudre les injustices sociales. Un symbole canadien était né.

Anna de Aguayo est diplômée de l'Université de Toronto et de  London School of Economics. Elle s'intéresse aux symboles et aux systèmes sociopolitiques. Elle a aussi oeuvré en tant que chercheure auprès des musées canadiens.

Version française abrégée par Michel Ducharme, Université McGill.



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