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Craig Kielburger : « Affirmer le pouvoir des jeunes »

Crédit : Free The Children.

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Dans le cadre de la série d'articles sur les grandes personnalités qui ont fait avancer la cause de la tolérance au Canada, Tolerance.ca® présente Craig Kielburger, un jeune homme engagé qui lutte depuis l'âge de 12 ans pour les droits des enfants et l'abolition du travail forcé dont ils sont encore trop souvent victimes à travers le monde.À la tête d'une délégation de gens d'affaires se rendant en Asie pour conclure des ententes commerciales, le premier ministre Jean Chrétien n'avait pas prévu aborder l'épineux problème du travail forcé des enfants avec ses homologues indiens et pakistanais en ce mois de janvier 1996. C'était sans compter sur l'audace et le sens de la justice d'un de ses jeunes compatriotes âgé de seulement 12 ans, Craig Kielburger, venu en Asie de son propre chef afin de constater de visu l'ampleur du problème.

Nombreux sont ceux qui gardent en mémoire cette saisissante image télévisée où Kielburger, accompagné de deux jeunes Indiens, improvisait une conférence de presse dénonçant l'asservissement des enfants et demandant du même souffle au premier ministre du Canada de faire de même.

Placé sur le gril, Chrétien, un des pères de la Charte canadienne des droits et libertés, n'avait eu d'autre choix que de s'engager à aborder le sujet du travail des enfants avec les chefs d'États qu'il était venu rencontrer, acceptant même de s'entretenir durant une demi-heure avec Kielburger dans sa chambre d'hôtel.

Dans les jours suivants, les journaux du monde entier consacraient leur page frontispice à la lutte du jeune Canadien. Un enfant de 12 ans venait de rappeler l'existence d'une forme d'esclavage méconnue de nombreux adultes.

 

 

 

 

 

Le choc d'une image


Quelques mois plus tôt, en avril 1995, alors qu'il cherchait la page des bandes dessinées dans le Toronto Star, Kielburger se voyait confronté à l'intolérable. À la une du journal, figurait la photo d'un jeune Pakistanais de 12 ans, Iqbal Masih. L'article soulignait que l'enfant avait été tué parce qu'il avait dénoncé ses conditions d'existence. Vendu à l'âge de 4 ans à un commerçant pour rembourser un emprunt que ses parents avaient contracté, Masih avait passé sa vie à travailler 12 heures par jour, 6 jours par semaine, dans une fabrique de tapis avant de s'enfuir.

 

 

 

 

 

 
La tolérance ?
 
« La tolérance est insuffisante. Je crois que l'humanité devrait placer la barre plus haut. Nous devrions former une génération qui non seulement "tolère" les autres, mais qui "les respecte" en tant que citoyens égaux. C'est seulement ainsi que nous pourrons véritablement réaliser la paix. »

Craig Kielburger.

« L'enfant avait ensuite voyagé aux États-Unis et en Europe pour dénoncer le travail des enfants. Quand il est revenu chez lui, il a été assassiné. Ce fut le catalyseur. J'ai été choqué d'apprendre que l'esclavage existait encore. À l'école, on m'avait appris que l'esclavage était un fait historique », relate Kielburger, joint pour cette entrevue à sa résidence de Toronto, à la veille de son départ pour le Kenya.

Peu après, Kielburger entamait des recherches pour en savoir plus sur le travail des enfants et sensibiliser ses camarades à la question. « J'ai pris la parole devant la classe pour faire la lecture de l'article du journal. Puis, lorsque j'ai demandé aux élèves s'ils étaient intéressés à se joindre à moi pour créer un mouvement, 12 personnes ont levé la main. »

 

 

 

 

 

La naissance d'un réseau d'entraide…


Rapidement un petit groupe se formait. Il fut baptisé Free the Children en écho au slogan scandé par de jeunes Indiens qui, quelques mois auparavant, avaient marché dans la rue pour réclamer l'accès à l'éducation et à la liberté pour tous les enfants.

Originaire de Thornhill en banlieue nord de Toronto, fils de professeurs retraités, Kielburger est le plus jeune d'une famille de deux enfants. C'est surtout chez son frère aîné, Mark, qu'il dit avoir puisé l'inspiration pour l'engagement social et la justice. Un entretien d'un peu plus d'une heure avec le jeune homme aujourd'hui âgé de 21 ans suffit à prendre la mesure de sa détermination.

Car Kielburger et ses camarades ont dû affronter le scepticisme de plusieurs adultes au départ. Avaient-ils rencontré des enfants dans des fabriques en Inde ou au Pakistan avant de dénoncer à pleins poumons leurs conditions ? Et si, en Asie, le travail des enfants était un trait culturel, ou encore une nécessité pour assurer la survie des familles ?

Stimulé par ces interrogations posées tel un défi et convaincu que la place des enfants, peu importe leur nationalité ou leur culture, était à l'école et non pas à travailler 10 heures par jour dans une fabrique de tapis, Kielburger décidait de se rendre en Asie. Il voulait ainsi rencontrer des jeunes et des représentants d'organisations humanitaires pour recueillir des témoignages sur le travail des enfants.

En décembre 1995, après 5 mois d'efforts en vue de récolter les fonds nécessaires et de convaincre ses parents de le laisser partir, Kielburger s'envolait pour l'Asie en compagnie d'un ami âgé de 25 ans. Le périple, d'une durée préalablement prévue de 2 semaines, allait s'étendre sur 2 mois en Inde, au Pakistan, au Népal et au Bangladesh. À son retour au pays, Kielburger était plus convaincu que jamais de la justesse de sa cause.

 

 

 

 

 

 

… et son développement


Basé à Toronto, l'organisme Free the Children est aujourd'hui présent dans 35 pays d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine et possède également une antenne au Japon, au Kenya, en Équateur et en Inde. Il compte quelque 100 000 membres, sans oublier les milliers et les milliers de personnes qui ont participé aux différentes campagnes ou projets de par le monde, dont des personnalités telles Richard Gere, Oprah Winfrey, Jane Goodall ou Desmond Tutu.

L'organisme humanitaire se donne pour mission de sensibiliser l'opinion publique au phénomène du travail des enfants afin de faire valoir leurs droits. Il entend aussi faire pression sur les leaders mondiaux, politiciens et gens d'affaires pour qu'ils fassent de la protection et de l'éducation des enfants une priorité.

 

 

 

 

 

 

Les jeunes, agents de changement


Au cœur de la philosophie de Free the Children loge le principe que les enfants possèdent les ressources et les capacités nécessaires pour être des agents de changement. Fondé par et pour les enfants, le réseau entend mettre à mal l'idée qui associe l'enfance à la faiblesse ou à la passivité pour en faire une force créatrice.

« Il faut libérer les enfants de l'esclavage, de l'exploitation et de la pauvreté, mais on doit aussi les libérer de l'idée qu'ils n'ont pas de pouvoir sur le cours des choses. Les enfants peuvent orienter des changements positifs. Plusieurs organisations perçoivent encore les enfants comme des êtres devant être secourus. Mais ceux-ci veulent aussi être en contrôle, avoir un pouvoir sur leur destinée et travailler avec les autres pour plus de justice », affirme Kielburger.

Chaque année, pendant la saison estivale, 250 jeunes membres de l'organisme, âgés entre 12 et 25 ans, s'envolent pour l'étranger, en Inde, en Thaïlande, au Kenya, au Nicaragua ou en Équateur pour travailler bénévolement, enseigner ou bâtir des écoles.

« Nous avons parmi nous des jeunes de moins de 12 ans qui sont allés outre-mer et qui ont donné des conférences. Ils sont plus articulés, plus au courant des situations et plus actifs que je ne l'étais à leur âge. Le pouvoir des jeunes dépend des opportunités qu'on leur offre et des modèles positifs qui leur sont proposés », enchaîne Kielburger.

À ce jour, Free the Children a contribué à l'éducation de près de 30 000 enfants et a fourni des sources alternatives de revenus pour des familles pauvres. « Quelque 400 écoles primaires ont été bâties avec l'argent amassé par les enfants. Cela représente 85 % du budget de l'organisme. Si les enfants peuvent faire ça, imaginez les adultes… »

L'organisme a aussi convaincu des gouvernements de durcir leurs lois contre le tourisme sexuel visant les enfants.

De nombreux pays africains meurtris par les guerres ont reçu son aide afin d'aider les enfants à reprendre une vie normale. Au Sierra Leone, au Congo, au Rwanda, au Soudan et en Tanzanie, des milliers d'enfants ont été forcés d'aller au front. Très jeunes, ils ont connu les horreurs de la guerre, ont vu leurs amis mourir, ont dû tuer à leur tour. Free the Children a collaboré à la construction de plus de 30 écoles au Kenya pour accueillir ces enfants. « On a aussi mis sur pied, dans ce pays, un camp de réhabilitation et d'éducation à la paix pour les aider à redevenir des élèves », poursuit Kielburger.

 

 

 

 

 

 

Une responsabilité collective


Plus de 50 ans après l'adoption de la Déclaration universelle des droits de l'homme, comment est-il possible que des enfants de 11 ou 12 ans voient leurs droits fondamentaux bafoués, qu'ils soient privés d'éducation et réduits à travailler de longues heures dans des conditions proches de l'esclavage ? Qui sont les coupables ? Les chantres du commerce international ? Les dirigeants des pays occidentaux qui entretiennent des relations avec les pays qui tolèrent ces pratiques ? Les pays en développement qui jouent à l'autruche ?

« C'est la question qui nous hante depuis 10 ans. Nous ne comprenons pas. Nous ne savons pas. On peut blâmer le monde développé, les pays en développement et les entreprises. Le commerce inéquitable entre les pays développés et ceux en développement représentent 30 milliards de dollars de perte, par an, pour ces derniers. Il y a aussi le Pakistan qui dédie 30 % de son PNB aux dépenses militaires contre seulement 2 % à l'éducation. Il a suffisamment d'argent pour développer une bombe nucléaire mais pas pour protéger ses enfants », regrette Kielburger.

Il n'y aura pas de progrès significatif sans une prise de conscience collective concernant le sort des enfants dans les pays défavorisés, croit ce jeune homme engagé.

« Nous nous soucions moins d'un enfant né dans une favela au Brésil, dans la servitude au Pakistan ou au milieu de la guerre en Afrique que de nos propres enfants. Or si c'étaient nos enfants, nous interviendrions. L'an dernier, le monde a consacré 800 milliards en dépenses militaires. Pour envoyer tous les enfants du monde à l'école, l'ONU estime qu'il faudrait injecter 10 milliards de dollars américains par an. C'est peu. On a assez de ressources pour éliminer la pauvreté et le travail de enfants. La question est de savoir si on a la volonté de le faire. »

 

 

 

 

 

 

Des progrès ?


Ainsi, en dépit des efforts déployés depuis près de 10 ans, Kielburger dresse un bilan mesuré du chemin parcouru. Il y aurait encore 250 millions d'enfants exploités dans le monde. Un portrait d'autant plus désolant que ce nombre n'a guère diminué depuis 1995, poursuit notre interlocuteur. « Il y a des régions où la pauvreté augmente. C'est le cas de l'Afrique à cause des guerres et du sida. En Asie et en Amérique du Sud, par contre, nous faisons des progrès. »

Le gouvernement canadien pourrait faire bien davantage, selon Kielburger, qui estime que Jean Chrétien a oublié ses promesses. Bien peu a jusqu'ici été fait pour venir en aide aux enfants depuis leur rencontre.

« Le Canada a pris des initiatives dans le dossier des enfants soldats. Mais, depuis son opposition aux mines antipersonnelles, le pays n'a pas assumé beaucoup de leadership. Et cela reflète une réalité oubliée aussi par les Canadiens. Les gens doivent sensibiliser le gouvernement au fait que c'est un enjeu aussi important que le système de santé. J'admire toutefois Paul Martin pour son engagement envers l'Afrique et ses prises de position en faveur de l'allègement de la dette des pays de ce continent. »

Le jeune homme dit garder espoir dans la politique pour faire changer les choses, citant en exemple la nouvelle loi fédérale qui permet de sanctionner les adeptes du tourisme sexuel. « Le gouvernement a changé la loi car les Canadiens ont jugé que c'était là une question importante même si elle protège les enfants d'ailleurs. Quand les citoyens se montrent soucieux des enjeux internationaux, les gouvernements y portent plus attention. »

 

 

 

 

 

 

Un désir : devenir ambassadeur de la paix


Edward Gillis travaille au sein de l'organisation Free the Children depuis 6 ans. Il ne tarit pas d'éloges envers son ami, saluant son sens de la justice.

« Craig est certainement la personne la plus authentique que j'aie vue de ma vie. Il a des habiletés exceptionnelles pour les relations interpersonnelles. Il écoute vraiment les gens et s'intéresse à eux, à leur vie. C'est aussi un grand optimiste. Il a réalisé beaucoup de choses avec Free the Children en abordant les problèmes avec humour. Quand les choses vont mal il est souvent le seul à dire : "Quelle blague peut-on faire avec ça ?'' »

Free the Children emploie 28 personnes à son siège social de Toronto. Tout comme Craig Kielburger, qui dit aimer son rythme de vie modeste, la grande majorité des membres de l'organisme y oeuvrent donc bénévolement.

Détenteur d'une bourse, Craig en est à sa troisième année d'un programme d'études d'une durée de 4 ans portant sur la paix et les conflits (Peace and Conflict Studies) à l'Université de Toronto.

« La majorité de mes cours en psychologie, histoire, philosophie ou en sciences politiques sont axés sur les conflits dans le monde et sur les façons de les résoudre, » précise-t-il.

Après l'obtention de sa maîtrise, Kielburger projette de compléter des études doctorales en psychologie de la paix. « Je veux travailler comme médiateur pour mettre fin aux guerres entre les groupes en Afrique et ailleurs. »

Directeur du développement à Free the Children, Lloyd Hanonan voit en Kielburger un authentique meneur de troupe. « Il est un exemple vivant de ce dont les jeunes sont capables. Il est très inspirant pour les autres. Sa plus grande qualité est son habileté à aider les gens à croire qu'ils peuvent faire changer les choses. Il pense que le monde peut et doit être meilleur, que tous les gens sont importants. »

 

 

 

 

 

 

Instaurer une justice sociale


Kielburger n'est pas peu fier de dire qu'il a contribué à ce que des programmes d'éducation à la justice sociale, inspirés de la philosophie de l'organisme, soient dispensés dans les écoles canadiennes, rejoignant ainsi quelque 300 000 jeunes.

« Nos animateurs se rendent dans toutes les écoles publiques de Toronto pour enseigner notre programme à près de 24 000 élèves de 10e année. Les jeunes doivent par la suite passer un test et compléter 40 heures de service communautaire. L'objectif est de montrer que les jeunes peuvent exercer un leadership » explique Kielburger.

Afin de propager ses idées et sa vision, Kielburger a publié, en compagnie de son frère Mark, Me to We, dont on prévoit une éventuelle traduction en français.

« La plupart du temps, on se demande ce qui est bon pour soi, précise-t-il pour expliquer le titre de son livre. Quand on achète, que l'on prend des décisions ou que l'on vote, on pense en fonction de ce qui est bon "pour moi", non de ce qui est "bon pour nous". Il faut créer un mouvement de gens qui ne partent pas de l'idée de ce qui est "bon pour moi" mais plutôt "bon pour nous" si on veut éliminer la pauvreté dans le monde et mettre fin à l'injustice. Ce qui est important, c'est que nous pensions plus collectivement », conclut Kielburger.

 

 

 



Pour en savoir plus :

Me to We : Turning Self-Help On Its Head , John Wiley and Sons Canada Ltd, Toronto, 2004, 244 p. Disponible sur www.amazon.com

Site Internet : www.freethechildren.org


Cet article fait partie d'une série de dix articles réalisée grâce à la contribution financière de






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Remerciement
par cherche le 12 mars 2007

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