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Michèle Audette : une femme tenace

© Femmes autochtones du Québec.

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Dans le cadre de la série d'articles sur les grandes personnalités qui ont fait avancer la cause de la tolérance au Canada, Tolerance.ca® présente Michèle Audette, présidente de Femmes autochtones du Québec (FAQ).

Fière de ses racines tout en étant ancrée dans la réalité d'aujourd'hui, elle porte ici un regard lucide sur les réalités des femmes amérindiennes et l'absolue nécessité de faire enfin reconnaître leurs droits. La poignée de main de Michèle Audette, la présidente de Femmes autochtones du Québec (FAQ), est ferme mais chaleureuse. Dans son grand bureau du centre-ville de Montréal, une bougie disperse de doux effluves de pommes. L'espace est rempli à craquer. Les boîtes s'accumulent. Le téléphone ne dérougit pas. C'est que l'organisme déménagera sous peu ses pénates à Kahnawake. Débordée, Michèle est à la course et règle mille pépins à la fois.

De mère en fille, même combat

De stature moyenne, elle possède un visage rond à la beauté exotique, des yeux bridés et une chevelure de jais. Michèle Audette a résolument les traits autochtones. Et pourtant cette femme n'en fut pas une devant la loi. En épousant un Blanc, la mère de Michèle Audette, Évelyne Saint-Onge, perdait son statut d'Amérindienne. Par le fait même, ses rejetons le perdaient également. La Loi fédérale sur les Indiens, une loi vieille de 1876, stipule qu'une femme amérindienne qui se marie à un Blanc ne peut plus retourner vivre dans sa communauté. On lui bloque l'accès aux services, aux soins de santé et à l'éducation pour ses enfants. Le gouvernement fédéral de l'époque avait adopté une série de mesures de la sorte visant l'assimilation des Amérindiens dans le but de les convertir en bons citoyens canadiens. Cette disposition de la loi -qui perdure toujours en 2004- ne vise que les femmes.

Pendant des années, Évelyne Saint-Onge, militante et cofondatrice de FAQ en 1974, s'est battue corps et âme pour faire abolir cette clause. Sa fille a repris le flambeau en 1998. Avant d'accepter la présidence de FAQ, Michèle Audette a été relationniste et coordonnatrice à de nombreux festivals aborigènes avant de rejoindre l'équipe de recherchistes de Nations, un magazine d'information sur les Amérindiens diffusé sur les ondes de Télé-Québec. Séparée de sa communauté depuis qu'elle est toute petite, elle a compris, au travers de ses recherches et de ses rencontres, les souffrances et les inégalités de son peuple. Le temps d'une pause, elle s'est permis une petite incartade dans le cinéma, interprétant le rôle d'une jeune femme autochtone. Puis elle a siégé dans les conseils d'administration de divers centres autochtones. À tout juste 25 ans, elle a décidé de s'investir davantage pour défendre les droits des femmes et s'est présentée à la tête de FAQ.

Entre urbanité et retour aux sources

Michèle Audette est née à Maliotenam il y a 32 ans. Elle a choisi de vivre en banlieue de Montréal avec son père tout en faisant régulièrement la navette entre Montréal et Maliotenam. « J'ai très peu connu le bois et la forêt », résume-t-elle. Elle reste très proche de ses parents. « C'est mon père qui m'a appris à exprimer mes émotions, à ne pas les laisser pourrir en dedans. Il me colle encore comme si j'étais un petit bébé. Je vais le voir souvent lorsque je vis quelque chose de difficile. Je suis très choyée en matière de parents », note-t-elle.

Sa mère, longtemps privée de l'enseignement des siens, reprend maintenant connaissance avec la culture innue. « Elle a toujours gardé sa langue et sa fierté, même si on lui avait enlevé son statut. Elle réalise qu'elle a beaucoup de choses à apprendre sur la chasse, la pêche, la trappe et la forêt. Elle reçoit un enseignement pour les plantes médicinales aussi. C'est une femme proche de sa spiritualité. Elle me transmet toutes les belles choses qu'elle découvre », raconte la présidente.

Et elle, Michèle, sent-elle le besoin aussi de retrouver ses racines et ses traditions? « Cela va venir. Pour l'instant, je dédie mon temps à la cause des femmes autochtones. » Michèle s'est souvent sentie aliénée du fait qu'elle parlait très peu sa langue maternelle. « J'entendais parfois les gens dire que je n'étais pas une vraie Innue puisque je ne parlais pas bien la langue. Mais est-ce que j'ai choisi ça, moi ? Non, malheureusement! »

Une loi qui fait toujours mal

Le souhait le plus cher de Michèle Audette reste indubitablement l'annihilation de la Loi sur les Indiens. Le combat est loin d'être terminé depuis les dernières modifications de 1985. En vertu de la Constitution canadienne sur l'égalité entre les citoyens, on a alors redonné le statut d'Amérindienne aux femmes qui en avaient été dépossédées. La présidente et sa mère ont été parmi les heureuses élues.

Mais la réintégration des femmes dans les réserves ne s'est pas faite sans heurts : les membres des Conseils de bande ont dû approuver leur retour. Ces groupes majoritairement constitués d'hommes sont restés frileux à l'idée de reconnaître les mariages mixtes. « Certains ont menacé et ont harcelé ces femmes allant même jusqu'à les expulser violemment de la réserve », pouvait-on lire dans un mémoire de FAQ déposé en septembre 2000 au ministère des Affaires indiennes.

Encore aujourd'hui, des milliers de femmes attendent leur statut d'Amérindienne : elles sont 3000 à Kahnawake. En Alberta, le chiffre grimpe à 9 autochtones sur 10! De plus, les femmes amérindiennes réadmises au sein des réserves ne peuvent transmettre leur statut à leurs enfants métis! C'est le cas d'un des fils de Michèle Audette. « Dans 40 ans, restera-t-il encore des aborigènes? », s'inquiète-t-elle.

Le travail d'éducation et de sensibilisation effectué dans les réserves par les femmes de FAQ commence à porter fruit. Tranquillement, les hommes prennent conscience des ravages de la Loi sur les Indiens. « Ça touche maintenant les hommes plus âgés, eux qui ont toujours refusé les femmes mariées à des non-autochtones. Parce que cela concerne directement leurs petits enfants qui, nés de pères inconnus ou blancs, ne sont plus des petits Amérindiens. Ils vivent l'impact », croit-elle.

Michèle Audette a été sidérée d'apprendre que les jeunes filles âgées entre 18 et 25 ans ne connaissaient pas la Loi sur les Indiens. « Lors d'un séminaire sur les droits de la personne et les jeunes, il y avait dans l'audience beaucoup de jeunes filles. Personne ne leur avait dit l'existence de cette loi et les conséquences pour elles et leurs enfants. Elles étaient traumatisées », déplore-t-elle.

Les droits des femmes, une lutte à poursuivre

Malheureusement, la violence, elle, continue d'être omniprésente dans les communautés. Quelque 80% des femmes autochtones souffrent en silence de sévices physiques ou psychologiques. Près de 50% sont agressées sexuellement. La drogue, l'alcool, le suicide et les grossesses hâtives sont en progression. Des centres venant en aide aux alcooliques ou aux victimes de violence conjugale ont vu le jour. En janvier 2004, le FAQ a reçu une subvention du ministère de la Justice du Québec pour mettre sur pied des services d'aide juridique et d'accompagnement pour les femmes violentées.

 

 

 

 
Qu'est-ce que la tolérance?
 
Michèle Audette n'aime pas trop le mot tolérance. « C'est comme si on disait à un enfant qui souffre de tolérer son mal! », s'exclame-t-elle. Elle lui préfère le mot respect. « Pourquoi aurai-je à tolérer qu'on me regarde avec dédain si je mange du caribou ? J'aime mieux éduquer et sensibiliser les gens à ce que je mange. C'est propre à moi et à ma culture. On n'est pas obligé de m'aimer, mais on doit me respecter, c'est mon droit. Si tu n'es pas content, va ailleurs! », lance-t-elle.

Les Amérindiennes se font encore discrètes concernant ces problèmes conjugaux. Elles se camouflent derrière la honte et la peur des représailles. « La femme qui vit dans la violence n'exploite pas le rôle qu'elle mérite qui est de vivre dans la sécurité. Elle n'a pas à souffrir d'agression si elle s'exprime », explique doucement la présidente. Les militantes de FAQ ont pris la parole à l'Assemblée des Premières Nations. Elles ont dénoncé les drames quotidiens vécus par les femmes.

« Ce que j'admire chez Michèle, c'est qu'elle est honnête, ouverte d'esprit et toujours positive, affirme Clara Gloade, présidente de l'Association des femmes autochtones de la Nouvelle-Écosse. Elle n'a pas peur de dire la vérité, même si elle fait mal. Si certains Amérindiens et certaines Amérindiennes ne veulent pas voir la réalité, tant pis pour eux! Nous sommes en 2004. Les femmes n'ont plus à se cacher derrière un prétendu rôle traditionnel. Moi, je suis 100% derrière elle », ajoute Mme Gloade.

Michèle Asselin, la présidente de la Fédération des femmes du Québec a déjà assisté à des conférences où Michèle Audette prenait la parole. « C'est une grande défenderesse des droits autochtones. Passionnée, chaleureuse et accessible, elle explique très concrètement les enjeux politiques auxquels ont à faire face les Amérindiennes. Elle connaît ses dossiers », affirme Mme Asselin.

Faire connaître de nouveaux modèles

Règle générale, lorsqu'on parle des communautés autochtones, on ne retient qu'une image négative et misérabiliste, relève la présidente de FAQ. Pourquoi? « C'est cela qui fait vendre les journaux. Récemment, une autochtone qui possède une entreprise dans le domaine de la foresterie a gagné un prix. C'est un succès et pourtant on n'en parle pas dans les médias. Oui d'accord : c'est vrai que cela va mal dans les communautés. Mais j'ai hâte que l'on parle des bons coups. Il y a des aborigènes malgré tout qui sont instruits, autodidactes, intelligents et qui foncent. Ils ont le mérite d'être reconnus ces gens-là. » Le pire, ce sont les préjugés tenaces qui persistent, dans la communauté blanche, à propos des autochtones gavés de bonis gouvernementaux. « Est-ce que c'est un privilège de se faire considérer légalement comme des mineurs et de ne pas avoir le droit de décider de notre avenir? », avance-t-elle.

Que reste-t-il aujourd'hui du rôle de la femme autochtone? « Les femmes contemporaines ou les femmes d'affaires ne sont en effet pas nombreuses, mais il y en a quelques-unes. En fait, il y a plusieurs modèles. Les hommes nous voient comme les piliers de la nation. La femme lègue encore à ses enfants la culture, la langue, les traditions et les valeurs autochtones. Elle reste très traditionnelle. Mais nous ne faisons pas qu'enfanter des bébés! J'ai un rôle à jouer dans la participation civique et démocratique d'une société. J'ai mon mot à dire. Je peux dessiner l'avenir avec tout le monde. J'ai le droit à cela. Ces gens qui tiennent ces beaux discours, dans la réalité mettent-ils des mesures en place, financières ou autres, pour favoriser l'éducation ou les soins des enfants? », s'interroge-t-elle.

Mme Michèle Audette a été nommée, à compter du 15 mars 2004, sous-ministre associée au ministère des Relations avec les citoyens et de l'Immigration du gouvernement du Québec, chargée du Secrétariat à la condition féminine.

 



Pour en savoir plus :

Article


Hémond, Élaine (collectif sous la direction de), Folles de la politique, (entrevue avec Michèle Audette), réalisé par le groupe Femmes, politique et démocratie, Éditions Septembre, 87 p., 2002.


Film

Lamothe, Arthur, Le Silence des fusils, 97 minutes, Pathé Télévision, 1996.


Sites Web

Sites de Femmes autochtones du Québec et de l'Association des femmes autochtones du Canada.


Pétition

Pétition contre la Loi sur les Indiens que l'on peut signer sur le site Web de la Fédération des femmes du Québec.


Cet article fait partie d'une série de dix articles réalisée grâce à la contribution financière de




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